La première expérience (italo-)américaine de Ciro Guerra poursuit le virage amorcé dans son précédent film, Les Oiseaux de Passage, qui mêlait à une étude ethnologique les codes du film de gangsters : la singularité de L’Etreinte du Serpent se dissout progressivement au profit d’ambitions plus romanesques portées par un casting mainstream (Rylance, mais surtout l’inexpressif Depp et l’identique Pattinson) d’autant que le colombien adapte ici un roman de J.M Coetzee paru en 1980.
Le postulat, qui rappelle fortement Le Désert des Tartares de Buzzati, imagine une contrée jamais nommée et sa frontière, un fort lorgnant une ligne d’horizon de laquelle pourrait surgir à tout moment une invasion barbare. Le Magistrat à la tête de la cité fortifiée coule des jours heureux jusqu’à l’irruption de représentants de l’Empire venus s’enquérir de la situation.
Très vite, les ambitions du récit sont clarifiées : le spectateur se trouve face à une sorte de conte philosophique qui vise à dénoncer l’absurdité de la guerre, la violence endémique à la nature humaine et le tragique que construit l’homme pour orchestrer sa propre destruction. Les figures sont tracées à la ligne claire : Le Magistrat, figure du Saint, bienveillant, humaniste et progressivement anticolonialiste, contre Le Colonel et ses sbires qui vantent dans un discours glacial les vertus de la torture pour obtenir la vérité. L’écriture, assez littéraire, aboutit à une certaine raideur théâtrale et démonstrative qui n’hésite pas à surligner le propos, entre la figure christique dans la longue scène de lavement des pieds et les limites de la complaisance dans les séquences de torture. Chaque rôle exhibe sa fonction, (la femme victime, la romance suppliciée, le Magistrat martyre, le peuple retourné comme un gant applaudissant les sévices publics…) et nourrit une démonstration assez prévisible, avilissant les bonnes intentions sous les fourches caudines de l’impérialisme inhumain.
On peut toutefois avoir quelques scrupules à totalement discréditer le projet, qui ne manque pas de sincérité. La photo est soignée, les intérieurs sublimés, et le rapport initial à une forme d’archéologie plutôt intéressant dans cette façon d’accorder aux objets une attention singulière. La rhétorique elle-même, qui décortique - même superficiellement - le mécanisme retors de la haine et de la violence et montre comment la conceptualisation de la barbarie se fourvoie face à une réelle expérience de la frontière en tant que territoire n’est pas sans intérêt. Mais l’ensemble manque de chair et de vibration pour réellement exister, et se trouve lénifié par de grands discours qui verbalisent sur un mode dissertatif des enjeux qui auraient du s’incarner avec plus d’évidence.