Depuis son retour en grâce à Hollywood, la carrière de Mel Gibson n’a pas forcément retrouvé les sommets qu’elle avait atteinte dans les années 1990. Malgré son exceptionnel « Hacksaw Ridge » et son rôle mythique dans « Dragged Accross Concrete », il commence à s’abonner de plus en plus aux caméos de luxe, ou alors aux comédies bas de gamme. Si son regard reste pétillant, à contrario de Bruce Willis en semi-mort cérébrale depuis dix ans, les rôles à son envergure manquent à ce renouveau.


Quelle bonne nouvelle lorsqu’il fût crédité au générique de ce « Last Looks » ! Adaptation d’un roman à succès, il annonce des personnages hauts en couleur, au cœur d’une intrigue de détective digne de ce nom. Avec ce que cela implique comme dose de polar noir, d’humour facétieux et de violence graphique, souvent gratuite (dans la diégèse et non pour le propos). Mel Gibson incarne ici un acteur vieillissant, une star à l’ancienne légèrement has been, qui vit dans un monde qu’il ne connaît plus. Sa partition est parfaite, et à chaque apparition il fait mouche, car il s’éclate et parvient à transmettre tout le fun qu’il semble prendre. Cependant, le reste pêche un peu… voir beaucoup… voir énormément…


Tim Kirkby débute son film avec la promesse d’une ambiance tarantinesque, pulp et grind à la Robert Rodriguez, dans un esprit proche du « Inherent Vice » de P.T Anderson. Il lorgne à plus d’un exemple sur le « Chinatown » de Polanski, et bien entendu « The Long Goodbye » de Robert Altman et l’iconique détective Philip Marlowe. Autant dire que dès le départ, ça annonce beaucoup plus que ce qui est finalement proposé. Le problème principal est que derrière ça ne suit pas.


Dommage, car tout s’avère pourtant réuni pour faire de ce « Last Looks » un grand film : un matériel de base solide (le roman d’Howard Michael Gould), des gueules qu’il est toujours plaisant de retrouver (Mel Gibson, Clancy Brown), une histoire faite de rebondissements, un propos dichotomique entre ville et nature (inexploité...), et une mise en scène très classe, qui se déguste avec plaisir (mais vaine). Absolument rien n’est exploité convenablement, tout est laissé un peu en plan, à commencer par des acteurs livrés à eux-mêmes.


L’intrigue se perd dans des détours scénaristiques illisibles et inefficaces qui ralentissent l’action, la compréhension et les intentions du réalisateur. Le côté cool vendu dans le générique d’intro n’est en fait jamais présent, et s’il y a bien des personnages hauts en couleur, ils restent inexistants, voire inhabités. Il est pourtant facile de percevoir les décalages voulus par Tim Kirkby, mais force est de constater que c’est un échec cuisant de ce côté.


Malheureusement, la plus grosse lacune vient du personnage principal. Si sur le papier il possède tout pour plaire (un jeune policier talentueux, retraité prématuré retiré dans la nature, pour fuir le tumulte et la folie de la vie urbaine), à l’écran il en est tout autre. Charlie Hunnam, qui n’est pas l’acteur de sa génération, n’apparaît jamais convaincant dans le rôle du mec blasé, qui refuse un ultime job, dans une intrigue qui mêle un peu tout et rien. Ce tout et ce rien, qui bien traité, peut devenir de l’or, à l’instar du magnifique « Under the Silver Lake » de David Robert Mitchell, qui constituait une ode virtuose à la vacuité.


Charlie Hunnam ne sait pas faire passer d’expression, il ne sait pas exprimer d’émotion, il est bon dans des rôles qui ne requièrent pas un talent particulier. Mais lorsqu’il se positionne dans la lignée d’Elliott Gould, Jack Nicholson ou encore Joaquin Phoenix, il ne tient pas la distance. Si le personnage est bien amoché tout au long du récit, en en prenant plein la gueule, ça ne se ressent jamais vraiment, puisque son visage tuméfié se répare très vite. Retirant là l’une des caractéristiques du détective des classique du film noir.


Il est alors facile de regretter que le personnage principal, Waldo, ne fût pas tenu par le Mel Gibson des années 1990, tellement le rôle est taillé pour. Le contraste entre les deux comédiens, dont aucune alchimie ne résulte de leur présence commune à l’écran, ajoute encore un peu plus de peine à l’œuvre. Un ennui poli s’installe alors, puisque le film ne convainc qu’à très peu de moments. Et lorsqu’une scène est sur le point de faire son petit effet, le soufflé retombe inlassablement, ne créant que déception et une certaine frustration devant la somme de qualité dont le film regorge, sans les exploiter.


Ce n’est donc pas ce « Last Looks » qui signera le retour définitif de Mel Gibson à la place qui lui est dû. Cependant le métrage confirme que du haut de ses 65 ans, Mad Mel n’a rien perdu de ce qui faisait son charme et son succès. Si le film en lui-même n’est pas forcément mauvais ou irregardable, il vient un peu rappeler l’échec de « Lucky Day » par Roger Avary en 2019. Avec une démarche très proche, dans le fond comme dans la forme, il se vautrait exactement pour les mêmes raisons.


Ce n’est pas tant là une question de talent, mais plutôt une histoire d’art et de manière, par des cinéastes qui à trop vouloir proposer un exercice de style, se ramasse dans une bouillie dont ils ne contrôlent rien. Ce fut un temps le cas pour Guy Ritchie, qui depuis qu’il a arrêté d’essayer de copier Quentin Tarantino s’est trouvé une identité de réalisateur pas inintéressante.


On ne peut alors que souhaiter la même chose à Tim Kirkby, dont ce n’est là que le troisième film, après une longue carrière sur des séries. Car il y a tout de même dans ce « Last Looks » un potentiel cinématographique indéniable, et la prestation funky de Mel Gibson vaut clairement le détour. Maintenant, de là à prendre 2 h de son temps pour si peu, c’est peut-être beaucoup demander pour un film, qui comme beaucoup d’autres, sombrera dans les limbes de la mémoire de quelques cinéphiles aventureux.


-Stork_

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le 28 déc. 2021

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