Après la jungle des rizières de Platoon, Oliver Stone explore la jungle de Wall Street en s'attaquant au libéralisme effréné avec une certaine efficacité mais en même temps avec la finesse d'un bulldozer. Car ici, les raiders sont des voyous, des tueurs, des pulvérisateurs d'entreprises. Les golden boys eux, sont des crétins, à la botte des money makers et en s'asseyant sur la déontologie la plus élémentaire.
On a compris que Stone a voulu montrer comment ces gars s'égaraient en oubliant tout sens moral, ainsi qu'une peinture impitoyable de ces frappés de la finance tel que Gordon Gekko, le personnage incarné par Michael Douglas ; c'est le genre de mec qui ne respire que pour le fric, pour lui la Bourse, c'est la guerre : on vend, on achète, on prend l'offensive, on se replie, en employant le vocabulaire adéquat ("Il faut leur couper la gorge", "leur faire pisser le sang"...).
"Gekko c'est un grand requin blanc qui nage en avalant tout ce qui passe", disait Michael Douglas lors de la soirée de remise des Oscars où il reçut son prix du meilleur acteur en 1988. Pour la première fois, il jouait les grands méchants loups en se repaissant de l'énergie de ceux qu'il broie ; j'ai relu une interview qu'il avait donnée à l'époque, où il confiait que pour jouer ce rôle de prédateur affamé, il avait puisé dans son passé, en pensant à la rage qu'il avait déployée pour tenter de monter des films (allusion à sa première activité de producteur), mais il se considérait avant tout comme un acteur, et d'ailleurs papa Kirk ne s'y était pas trompé après avoir vu Wall Street, en disant : "Te voila donc acteur, mon fils !". Et Mike devint cramoisi d'émotion, car il était enfin reconnu comme un grand acteur et récompensé par la profession, sans être comparé à son célèbre père.
Tout ça pour dire que ce film qui surfe au milieu des magouilles d'argent, d'espionnage financier et des délits d'initiés révèle un monde pas très propre où à première vue, on peut croire que ça va être rasoir et qu'on va rien capter de tout ce jargon financier, mais Oliver Stone en fait une sorte de thriller ou de western passionnant où les armes sont des ordinateurs, des téléphones et des fax, et où les saloons sont remplacés par des buildings de verre et de béton. Un film édifiant.