Quel espèce d'Homme faut-il être pour se jeter dans un combat qui n'est pas le sien ? Pour être le témoin d'histoires qui ne sont pas les siennes ?
Pour pouvoir se glisser dans la douleur des gens, les accompagner quand ils pensent leurs plaies, il faut au moins être soi même d'une grande empathie, il faut savoir être humain au milieu de l'inhumain. James Nachtwey est capable de se glisser près des gens qui se tiennent debout devant l'abîme de la mort, et il y regarde avec eux, sans être avec eux. Il n'est pas non plus avec les gens quand il rentre chez lui, et au final, au travers de ce documentaire, James Nachtwey donne le sentiment d'être avec tout le monde sans être avec personne.
Ce n'est pas tout a fait une biographie, parce qu'on n'entends plutôt rarement Nachtwey dans ce documentaire, on parle de lui le plus souvent indirectement. Il est aussi parfois raconté par les autres, mais c'est surtout pour parler de lui et de ce qu'il incarne. On ressent que le documentaire à fait un pari dans l'histoire qu'il raconte, celui de parler du reporter de guerre qui prend la place de l'homme et de l'homme qui devient son métier. Incapable de vraiment faire la distinction que l'on aime beaucoup faire dans nos sociétés, entre vie privé et vie public.
C'est probablement le drame silencieux du film. Au milieu des autres drames auxquels il assiste, le reporter de guerre perd petit à petit son fil avec les autres pour se placer derrière son appareil photo et développer du lien avec tout un autre monde. Quand il vient exposer, on le questionne sur ses émotions, qu'il dit devoir contrôler pour travailler, mais personne ne lui demande comment il fait pour les raviver ensuite, comment il sort de son personnage. Et il n'en sort probablement pas, comme l'avance une collègue, un reporter devient une banque d'image toutes horribles, un flot d'expérience atroce qui ne s'arrête presque pas.
Le documentaire nous dépeint certainement la difficulté du métier de reporter et de se plonger constamment dans une expérience difficile. Il nous laisse devant plein de question, mais la dernière est celle qui taraude surement le plus les reporters : est-ce qu'ils sont des vautours qui rôdent dans la mort pour vivre ? Est-ce qu'ils vivent de la mort des autres ?
Cette question, même Nachtwey se la pose. Et la réponse, à cette question comme aux autres, c'est à vous de la donner, en découvrant le monde d'un témoin de ceux qui hurlent en silence.