Un polar noir maîtrisé qui vire d’un seul coup dans le bizarroïde

À ne pas confondre avec le documentaire brésilien nominé en 2011 à l’Oscar du Meilleur film documentaire, ou encore le jeu vidéo qui, d’ailleurs, s’écrit plutôt Wasteland et non Waste Land. Ici, il s’agit d’un thriller belge mettant en scène Jérémie Renier, celui dont beaucoup de Français imaginent encore en tant que Claude François (dans le film Cloclo), réalisé par Pieter Van Hees qui clôture avec ce nouveau long-métrage sa trilogie intitulée Anatomie de l’amour et de la douleur. Une saga composée d’un film d’horreur (Left Bank), d’un drame (Dirty Mind) et qui se termine donc avec ce Waste Land, un polar ténébreux récompensé du Prix Cineuropa lors du Festival de Cinéma Européen des Arcs en 2014.

Pour son nouveau et douloureux portrait d’un couple, le réalisateur focalise cette fois-ci son intrigue sur un policier sur le point de devenir père et dont l’enquête qu’il doit mener va menacer le bien-être de sa famille. D’autant plus que cette dernière n’est pas des plus stables, le personnage étant marié à une femme ayant déjà un enfant et ne parlant pas la même langue que lui, sans compter qu’elle n’est pas une adepte de son métier (peur de le perdre, de le voir vivre dans la violence, d’être moins importante à ses yeux…) et qu’elle ne désire pas spécialement garder l’enfant qui grandit dans son ventre. Avec cela, il fallait bien que ça arrive : le héros va se retrouver dans les bras d’une autre, la sœur de la victime. Une relation qui va lui faire perdre pied et le plonger dans une obsession (celle de coincer le coupable du meurtre) l’amenant à sa perte. Une longue descente aux enfers qui permet au réalisateur Pieter Van Hees de parler du colonialisme (la Belgique « gouvernant » à une époque le Congo) mais aussi de critiquer une Europe actuelle ayant peur du multiculturalisme au point de laisser la parole à des partis séparatistes ou d’extrême-droite. Et quelle meilleure ville que Bruxelles, siège de l’Europe même, pour symboliser ce dernier sujet ? Vous l’aurez compris, Waste Land se présente comme un thriller engagé et psychologique, riche en thématiques, qui malheureusement peine à convaincre totalement.

Dès les premières minutes, Pieter Van Hees plonge le spectateur dans une Bruxelles des plus glaciales par le biais de plans de la ville peu avantageux, certains mettant en avant des décors guère rassurants, d’autres des personnes endormis sur un banc donnant l’impression d’être mortes. Une rapide introduction qui permet au cinéaste d’installer une ambiance pesante exprimée par des jeux de lumière travaillés et une musique pour le moins étrange dans le seul but de mettre mal à l’aise, afin de s’attacher avec facilité au personnage principal et de vivre sa descente aux enfers avec autant de douleurs que lui. Et l’interprétation des différents comédiens n’est pas étrangère à ce constat, notamment celle de Jérémie Renier, très bon dans la peau de ce policier tourmenté dont on a envie qu’il se sorte de ce mauvais pas sans fracas. Il est le centre d’une mise en scène plutôt ingénieuse, à partir de laquelle le réalisateur peut raconter son histoire par moment sans dialogues ni détails explicites pour prouver quelque chose : filmer la réaction des comédiens pour dire que la femme est enceinte, insister sur le toucher de deux personnages pour montrer qu’ils ont une relation intime… Jusque-là, Waste Land fait preuve d’une maîtrise incontestable. Alors d’où vient cette sensation de frustration quand le générique de fin pointe le bout de son nez ?

Il faut voir du côté du scénario pour se rendre compte que Waste Land a été bâclé. La faute principalement au réalisateur lui-même qui s’est montré un peu trop gourmand niveau thématiques. En effet, Pieter Van Hees s’intéresse tellement à la descente aux enfers de son protagoniste, à sa vie familiale, qu’il en oublie de placer correctement ses sujets paraissant sur le coup survolés (le colonialisme) ou carrément invisibles aux yeux du spectateur (la critique de la Belgique européenne). Il est même impossible de comprendre l’utilité de certaines séquences (le combat de catch, le père du héros, les démons jamais révélés de ce dernier…) ou bien de ne pas rire devant certaines métaphores aussi grosses qu’un paquebot (le bébé se faisant appeler Adam, vu les circonstances du scénario…). Et comme si cela ne suffisait pas, le réalisateur gâche le potentiel captivant de son scénario en faisant plonger celui-ci dans un mysticisme inattendu et bizarroïde (une histoire de rituels, de visions et de sorcellerie) qui prend le pas sur le film, le rendant pour le moins étrange pour ne pas dire guignolesque. Après une première partie captivante, le film perd toute notre attention dans la seconde à cause de cela, et c’est fort dommage…

Il partait pourtant sur d’excellentes bases, Pieter Van Hees ne restera malheureusement pas dans les mémoires avec son Waste Land. S’il arrive à s’en sortir avec ses atouts techniques (mise en scène, photographie, bande originale…) et un casting de bonne facture, le long-métrage laissera pourtant un léger goût amer à ceux qui s’attendaient à une véritable descente aux enfers et non à un film dont le scénario s’apparente presque à un épisode de The X-Files (la science-fiction et le paranormal en moins). Vu le savoir-faire de ce réalisateur plutôt prometteur, il est vraiment malheureux d’arriver à une telle conclusion…

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le 4 févr. 2015

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