Les films dotés d'un scénario qui vous bottent le cul ne sont pas légion. On pense d'abord à Usual Suspects ou L.A. Confidential, en réfléchissant, froncez les sourcils, on trouve angles d'attaque, gone baby gone, à la poursuite d'Octobre Rouge, Trance ou Phone game. Ok, mais pour le cinéma fantastique ? Alien, Metropolis, U 571, Minority Report ?
Bon, soyons honnêtes, il n'y en a pas pléthore. Surtout du calibre de Usual Suspects.
Et bien Watchmen est de ceux-là. Mais le problème est que loin de se borner à proposer un excellent scénario, il assume totalement un côté subversif et très corrosif.
Il bouscule tous les codes du genre pour proposer une intrigue palpitante, poisseuse et franchement décalée, où les super héros apparaissent comme des personnages troubles, tourmentés, et pour la plupart complètement psychotiques. Mais si Snyder les fait délibérément tomber de leur piédestal, il va les montrer sous un angle profondément humain, en dévoilant leur vulnérabilité. Il les montre affectés par leur condition d'anciens héros auréolés de gloire et dans une société manipulée qui les rejette. Une société où la censure et une manipulation de masse n'est pas sans rappeler un certain 1984 de George Orwell.
Et quoi de mieux que la période de la Guerre Froide, avec "sa chasse aux sorcières", son Maccarthisme exacerbé pour planter un tel décors et le rendre crédible malgré tout ?
Car toute la magie du film tient à faire coexister un mythe et une des périodes les plus tendues de notre histoire, à l'intérieur d'un même contraste, éblouissant.
On juxtapose une époque où se mêlait déjà un climat de peur, d'espionnage et de délation étouffant à un scénario particulièrement travaillé et dans cette mouvance.
Les personnages sont nombreux et extrêmement bien travaillés, chacun avec une histoire propre et parallèle aux autres. Chacun va se croiser et choisir sa route, jusqu'au final, encore une fois éblouissant.

Le résultat est dense et étouffant, mais peut être trop pour certains. Car non seulement il faut avoir une connaissance minimale de la période pour en apprécier les subtilités, mais en plus il faut avoir une attirance pour ce genre de roman graphique, particulièrement malsain et violent.
Car bien que très typée, la photographie est magnifique. Je dirais même "particulièrement magnifique". L'ambiance comics est amenée avec subtilité et avec de nombreux effets de caméras qui vous décale constamment par rapport aux repères traditionnels. Portée par ailleurs par une bande son de grande qualité et aux multiples références, elle fait en plus appel à votre culture pour vous interpeller. Une culture cinématographique, en détournant certaine scènes de classiques comme platoon ou apocalypse now. Mais historique aussi, avec des parallèles moins subtils mais nécessaires pour ne pas définitivement larguer tout le monde. On abordera donc la Guerre du Vietnâm, la conquête spatiale et les références à Superman, la crise des missiles Cubains et de la Baie des Cochons, évidemment la chasse aux sorcières et le Watergate. La période couverte est finalement très large, même si elle se concentre sur la période de Guerre Froide, mais pose des points de vues décalés et intéressants sur notre histoire.
Et le résultat est violent. Violent dans les contrastes et pour ce que suggère également la violence des personnages, de leurs attitudes, non-dits, ou plus explicitement de leurs poings sur la gueule.
En ce qui me concerne, je n'ai jamais autant apprécié un film qui flirte autant avec les conventions et le visuel, surtout pour sa seconde lecture. Les références historiques comme cinématographiques sont presque permanentes, ultra stylisées et toujours appliquées comme miroir d'une société qui décline.

Et ce miroir créé par Snyder est tellement naturel qu'il vous imprègnent le subconscient dès le premier visionnage. Ce n'est que bien plus tard, lorsqu'on digéré les allusions qu'on se rend compte de sa portée. Tout y passe. Mercantilisme, viol, schizophrénie, suspicion, délation, corruption, déshumanisation de notre société, critique des élites dirigeantes, lutte des classes, démoralisation de l'économie... Le tableau est tellement glauque qu'il attire par sa noirceur et, il faut l'avouer, par un certain côté voyeuriste.
Snyder donne néanmoins une approche subtile, qui vous met à la place d'un statut de privilégié, mais de privilégié du trou de la serrure.
Je trouve donc très difficile de décrire ce film avec justesse et surtout de lui rendre hommage, car il attire par sa noirceur autant que par l'extrême qualité de sa narration et de son ambiance. Ce qui laisse du coup énormément de monde sur le côté de la route, car il est destiné clairement à un public de niche. Snyder a réalisé ici LE chef-d'oeuvre du film fantastique, en nous immergeant dans une noirceur et un scénario invraisemblable.
Tout est stylisé et fourmillant de détails, le côté assez avant guardiste est indéniable. L'ambiance est lourde et pesante, mais extrêmement mordante et captivante. Si vous avez aimé Sin City pour l'ambiance, vous adorerez Watchmen pour l'ambiance ET le scénario.
amjj88
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le 4 nov. 2012

Modifiée

le 22 nov. 2013

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amjj88

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