1986.
Lors d'une discussion avec le producteur Brad Krevoy (bossant à cette époque chez Roger Corman), Peter Rader (futur réalisateur/scénariste de trucs inconnus comme Escape From Witch Mountain en 1988 ou The Last Legion en 2007) lança l'idée d'un film d'aventures pour la famille qu'il pourrait lui-même réaliser.
Krevoy lui demanda d'en faire un rip-off de Mad Max 2, histoire de profiter de la renommée du film toujours intacte depuis sa sortie en 1981 (et ce, malgré l'accueil en demie-teinte de Beyond the Thunderdome en 1985).
Rader situe donc son récit dans un monde post-apo maritime avec une consonnance mythico-religieuse.
Le Mariner y était décrit comme le chef humain d'un Atoll (il n'était donc pas un mutant, pour les plus distraits...) ayant un petit faible pour dessiner des hippocampes à longueur de temps (chacun son truc, hein ?)...
Quant à Helen (référence évidente à l'Hélène de Troie), elle était mère de deux gamins ayant adopté la petite Enola (Alone à l'envers, soit "seule" en français).
Neptune (qui deviendra Deacon dans les versions ultérieures) était appelé ainsi à cause de son trident qui ne le quittait jamais et à sa manière de trôner dans son salon tel le Dieu des mers.
Il était décrit comme un personnage haut en couleur commandant une armée de mutants qu'il prenait malin plaisir à gifler avec un poisson mort si ceux-ci avaient le malheur de commettre une faute.
Comme dans le script final, son seul royaume était le fameux tanker Exxon Valdez (qui à la suite de stupides décisions s'échoua et causa une énorme marée noire, le 24 mars 1989 dans le détroit de la baie de Prince Wiliam, Alaska, pour ceux qui ne le saurait pas).
Et enfin, le gimmick du tatouage dorsal d'Enola cartographiant l'emplacement exact de Water's End (qui sera rebaptisé Dryland dans le film) apporte la touche finale à ce script, destiné à devenir une péloche à petit budget sous l'égide de Roger Corman.
Mais celui-ci comprenant que la majorité du tournage allait devoir s'effectuer sur l'eau, il décida de passer la main et le scénario de Rader commença à changer de main dans le tout-Hollywood avant d'être acheté en 1991 par Largo Entertainment, entité de production créée par les frères Charles et Lawrence Gordon (ce dernier avait déjà co-produit le diptyque Predator, la majorité des films de Walter Hill, les deux premiers Die Hard...)
Le scénario du film destiné originellement aux enfants fut réécrit par David Twohy (qui sortait tout juste de l'expérience Alien 3 puis de The Fugitive) pour lui donner un ton plus adulte, mais toujours dans l'optique d'en faire une série B, cependant distribuée par Universal Pictures qui pourrait le cas échéant, mettre à dispositions les costumes er décors provenant de leurs stocks, histoire de ne pas trop dépenser d'argent...
Mais c'était sans compter sur le fait que Kevin Costner mette par hasard la main sur le script révisé par le dit David Twohy en 1992 et y trouva de l'intérêt !
Du fait de l'implication de la star sur le projet (il sortait tout juste de l'énorme 'trilogie du succès" avec son Dance With Wolves en 1990, Robin Hoods et JFK en 1991), le budget alloué par Largo Entertainment devint dérisoire.
Larry Gordon appela à la rescousse son collègue John Davis et sa boite Davis Entertaiment (ayant co-produit avec lui le diptyque Predator en 1987-90) puis Universal embarqua la société Licht/Mueller Film Corporation avant d'injecter de l'argent du studio pour gonfler le budget.
Maintenant fort d'un budget de 60M$ (une somme pas si dérisoire aujourd'hui, car avec l'inflation, ce budget de 1994 correspond à 121M$, soit la moitié de n'importe quelle merde estampillée Disney), la pré-production peut commencer...mais Costner insiste auprès d'Universal pour engager son ami Kevin Reynolds à la réalisation (malgré leur froid datant du tournage de Robin Hoods l'année précédente (!!) où Costner avait éjecté Reynolds de la salle de montage - comme il le refera sur Waterworld - pour couper quelques scènes feat. le regretté Alan Rickman dont il craignait qu'il lui vole la vedette...).
Après 7 ré-écritures dues à Peter Rader, David Twohy en refera au moins autant et même le gros con mysogyne Joss Whedon (créateur/scénariste de Buffy The Vampire Slayer, puis réal (un bien grand mot) des deux premiers Avengers et son massacre de la Justice League) y modifiera certaines choses sous l'oeil scrutateur de la star.
Costner et Reynolds voulaient absolumment tourner en décor naturel le plus possible, soit sur l'eau. Reynolds alla voir l'ami Spielby pour grapiller quelques conseils et celui-ci de lui répondre catégoriquement:
-"Do not shoot on open water !" (Ne filme pas sur la mer !)
Mais Costner n'en démordit pas et force est de constater qu'il eut raison...et tort à la fois !
1994.
Le tournage commence au large de Hawaï mais très vite, Costner & Co se rendent compte que filmer sur la mer, ça donne de la crédibilité à l'ensemble, mais.., .c'est finalement bien pénible car:
- Une grosse partie de l'équipe technique a le mal de mer,
- les mauvaises conditions météo endommagent la structure de l'Atoll artificiel et l'un des décors coule même à pic,
- les incessants aller-retour mer/camp de base sur l'archipel retardent le tournage,
- les difficultés de tourner sur le catamaran (emplacement des caméras, gestions de l'espace) freinent encore plus le moindre plan et de fait, le budget passe de 60 M$ à 135M puis finira par approcher les 175M$, soit effectivement le budget le plus élevé de l'histoire du cinéma avant...l'année suivante où un certain Jim tourne un film sur un bateau qui coule et qui franchira le cap symbolique des 200M$, mais je m'égare...
PRESSE
Les dépassements de budget du film filtrèrent très vite hors tournage et la presse commença à y aller de sa connerie habituelle, ce qui amena la production à interdire l'accès à la presse des plateaux/sites de tournage pour éviter une publicité négative qui pourrait nuire au film.
Mais évidemment, la presse - qui n'a jamais été très intelligente - en tira une grande rancune et commença à détruire le film qui n'était même pas terminé !
Mais même malgré le ban des "talentueux re(ap)porteurs, une fuite leur parvint comme quoi deux techniciens avaient péri lors d'un incident causé par une météo capricieuse et s'en firent l'écho dans l'instant alors qu'en fait, les deux caméramans avaient eu une peur bleue
mais étaient bien vivants et en bonne santé, merci !
Le film sorti finalement le 28 juillet 1995 et ce ne fut en effet pas un succès insensé, mais n'en fut pas pour autant le bide que euh...la presse de merde colporta, car avec 264M$ de recettes au box-office (sans compter les dollars engrangés par la sortie en VHS), Waterworld n'est pas un four, mais une semi-déception pour les producteurs et sa star.
Sa star...
Costner est un excellent acteur/réalisateur, aucun doute là-dessus.
Mais son ego est peut-être un peu surdimensionné (surtout suite à l'immense succès de sa première réal qu'est Dance With Wolves) et Waterworld en a pris pour son grade.
Car comme en 1991 sur la post-prod de Robin Hoods, Costner décide de virer Reynolds de la salle de montage car le film à une durée de presque 3 heure (2h57, pour être exact) et après l'échec de son Wyatt Earp l'année précédente (d'une durée de 3h11 en version courte (!)), Kevin décida de raccourcir le film en accord avec Universal (ben tiens) pour pouvoir rentabiliser au max le film et ce, en dépit de ses personnages.
L'autre Kevin était ravi de son montage de 3h mais du point de vue commercial (à l'époque hein, parce que de nos jours, la moindre chierie Marvel dépasse les 2h30 de vacuité totale et le public en redemande !), Kevin I ne voulait pas d'un autre échec et...une partie des critiques s'accordèrent à dire que la narration souffrait de quelques trous et que les personnages manquaient de profondeur.
Et tout ça, c'est Costner himself qui en est responsable !
Ci-dessous une liste non-exhaustive de scènes coupées.
La vie quotidienne dans et autour de l'attol:
- un vieil homme déshydraté veut échanger ses longs cheveux blancs (utiles pour fabriquer des cordages) contre un peu d'hydro (eau pure),
- lorque le Mariner montre la terre dans le pot, le portail s'ouvre mais une lance à incendie est dirigée contre les pauvres hères voulant faire du troc et sont donc tenus éloignés, le temps que le Mariner puisse pénétrer l'enceinte de l'Atoll,
- encore le Mariner lorsqu'il arrache le sac de Chits (la monnaie-coquillage) au trader à qui il a donné le pot plein de terre et que celui-ci semble plus que ravi du deal,
- la terre encore, lorsque le gars au comptoir dit à Helen que c'était la terre la plus pure qu'il ait jamais vu (donnant ainsi la valeur de la dite terre dans ce monde aquatique)
- la séquence où le Mariner achète la totalité des bidons d'hydro à Helen et où il lui demande si elle aurait aussi des magazines (forcément disparu depuis des siècles), ce à quoi elle répond :
- "If I had a magazine, I would retire." ("si j'avais des magazines, je pourrai prendre ma retraite" , montrant la valeur inestimable de ces objets banals pour nous, mais presque une légende sur l'Atoll)
Ces scènes apparemment anodines donnent en fait beaucoup d'informations sur ce qu'est réellement la vie dans ce Waterworld: les choses basiques pour nous que sont la terre, le papier, la musique, les arbres..., ne sont que trésors incroyables pour ces gens-là.
Toutes ces petites séquences apportent une crédibilité à ce monde aquatique, affaiblissant donc la version ciné du film où l'univers de la diégèse n'est jamais formellement bien exploitée.
Autres coupes malheureuses montrant la stupidité (éternelle) de l'Humanité et ce, même dans ce monde désolé:
Une longue séquence de 3 minutes 28 présente le conseil de l'Atoll qui statut sur le sort futur du Mariner avec l'un des membres qui - comme au temps de l'Inquisition - désigne chaque objet récupéré dans le catamaran du mutant comme étant signe d'appartenance au groupe des Smockers:
- ainsi une clarinette est prise pour un appareil d'écoute pour mieux espionner les gens (il se la met dans l'oreille pour illustrer son propos fallacieux),
- un appareil de musculation est désigné comme outil de torture (ehhh...),
- un yoyo étant soi-disant un garrot pour la strangulation, j'en passe et des meilleures !
Mais surtout, Helen prend la défense du Mariner et dit au Conseil qu'il pourrait leur être utile pour atteindre Dryland mais dès lors, les Anciens (des simili extrémistes religieux) prêchent pour l'élimination du Mariner puis même d'Enola, car celle-ci leur semble être un mauvais présage (putain d'obscurantisme toujours d'actualité de nos jours, parfaitement décrit dans cette scène coupée).
Une femme est d'ailleurs une véritable Harpie qui demande la mort de l'enfant, vous savez, ce genre d'attardée mentale religieuse prête à déchainer l'Enfer sur Terre en regard à son Dieu...et qui n'hésiterait aucunement à donner sa propre mère en patûre pour se sauver elle-même...ce qui ne lui portera pas chance car plus tard, dans une autre scène coupée lors de l'attaque des Smockers sur l'Atoll, elle crie:
-"It is the girl they want! Give them the girl and they leave!" (C'est la petite qu'ils veulent ! Livrez-la leur et ils partiront !)
Et sa connerie sera récompensée par une balle perdue dans la tête...
In yar face, bitch ! (ça, c'est ma réaction :))
Plusieurs scenettes creusant la relation Mariner/Helen/Enola ont été éjectées du montage originel et c'est même dommage pour Costner himself car elle donne beaucoup plus d'épaisseur à son perso comme celle où la lumineuse Tina Majorino (Enola) le remercie de ne pas les avoir tués et lui fait un bisou sur la joue: le Mariner la repousse alors et s'en va, furieux...et bouleversé par quelque chose qu'il ne connait ni ne comprend (l'amour et la reconnaissance)....
Enfin, la majorité de la séquence finale sur l'ile (ou Dryland) a été fortement réduite pour ne laisser qu'une sorte de digest des intentions de Reynolds et la révélation de ce qu'est réellement Dryland lors du final originel (
soit le Mont Everest
) n'a aucune réponse dans le cut cinéma...
LE FILM
Lorsque je vis pour la première fois le film sur Canal + (sûrement en 1997), je ne fus guère impressionné car je ne pus pas ressentir énormément d'empathie pour des personnages quelques peu sommaires mais je ne savais alors pas que 40 minutes du film avaient été supprimées.
Puis, je découvris le TV Cut via un VHS Rip, donc l'image un peu floue, fade et granuleuse majoré par une censure visuelle (nudité, violence...) mais surtout audio (les profanités et quelques arrangements étranges) le tout avec un son pas top ne m'avait guère impressionné non plus.
Mais ce jour-ci (enfin, hier pour être exact), j'ai pu enfin voir Waterworld Ulysses Cut et c'est comme si je redécouvrais le film !
Et j'avoue avoir totalement révisé mon avis sur ce film: il est en fait excellent !
Alors, avant d'énumérer toutes les qualités du film, je dois admettre que les effets visuels (pourtant livrés par Cinesite, Boss Films et Rythm and Hues) nous présentent des incrustations en écrans verts pas très convaincantes et des images composites plutôt ratées, ce qui altèrent mon confort de visionnage, m'empêchant ainsi de monter la note jusqu'à 9 (à ce titre, la scène où le Mariner marchande avec le premier Trader montre une lumière verte se refléter sur Costner lors des plans rapprochés champ/contrechamp alors que l'acteur semble pourtant être en pleine mer. Je ne comprends pas...)
Ainsi, toutes les scènes à bord du dirigeable sont très mal intégrées et l'on peut même y voir de la brume dans des plans optiques composites datant d'un autre âge...
Voilà donc les seuls griefs important à l'égard de cette version intégrale.
Waterworld n'est donc plus un vulgaire rip-off maritime de Mad Max Road Warrior, mais un récit qui parle de:
l'éternelle soif de pouvoir de l'Humanité,
de la main-mise de quelques personnes sachant manipuler son prochain, du fanatisme (qu'il soit religieux ou moral),
l'égoïsme (les partisans de sacrifier certaines personnes car différentes ou un grain de sable dans leur "confort" de vie),
mais aussi de la bonté naturelle (Gregor et son dirigeable très steampunk, Enola),
la découverte des sentiments (le Mariner étant un pur solitaire ne faisant confiance à personne et ne s'intéressant à personne va finalement évoluer via de très belles scènes, hélas supprimées du montage cinéma),
l'espoir d'une vie meilleure,
et l'humanisme face à l'avarice, le don de soi contre l'égocentrisme.
Et oui, Waterworld raconte en fait tout ça, mais dans,la vision qu'en a eu Kevin Reynolds, pas dans le montage non-sensique opéré par Costner et Universal.
Il est à noter d'ailleurs que c'est couillu de présenter le personnage principal ( et qui plus est incarné par la "gentille" star Kevin Costner) comme étant une sorte de primate (ichtyo-primate, pour être exact) n'ayant aucun sentiment, aucune pitié et prêt à jeter à la mer quiconque touche à son univers privé (y compris une enfant de 10 ans aimant trop dessiner).
A ce titre, la première rencontre entre le Mariner et un Trader (celui qui lui vole ses citrons) se terminera par un Mariner envoyant toutes voiles dehors son catamaran sur l'embarcation du gars, lui brisant net le mât et le livrant instantanément à une mort inévitable sous les coups des Smockers, le Mariner lui signifiant par geste "tu m'as volé, tu le paies de ta vie" !
Et le film en version intégrale montre cette lente évolution graduelle du Mariner froid et primaire en une personne plus ouverte sur le monde extérieur et surtout, les autres !
Costner y livre une partition bien plus complexe et très différente de ce qu'il a toujours joué auparavant, secondé par une Jeanne Tripplehorn crédible en général, un Dennis Hopper cabotinant, mais pour le bien du film.
Mais c'est surtout l'émouvante Tina Marjorino qui réussit à donner le contrepoint (avec son innocence mêlée de franc-parler) face à un Costner très investi dans son rôle du Mariner.
Et tout ça, on le voit dans ce qui est en fait un fan-cut du film, reprenant la version TV et en y réinsérant la bande sonore originelle ainsi que les scènes de violences et nudité issue du métrage cinéma, le tout converti en 4K par l'éditeur Arrow Vidéo (sous-entendant qu'Universal a donné son accord pour officialiser le fan-cut comme version à part entière...) qui dans sa box Waterworld propose trois BR incluant la version cinéma, la version télé remontée pour la chaine ABC et surtout, ce Ulysses Cut splendide !
Pourquoi Ulysses Cut comme sous-titre ?
Eh bien parce que
c'est Helen qui baptisera ainsi le Mariner "Ulysses" (Ulysse en anglais) juste avant que celui-ci choisisse de quitter l'île à la fin du film...du moins,
dans sa version intégrale !
Il est donc grand temps de ré-évaluer ce film et c'est ce que je viens de faire sous vos yeux, chers lecteurs !