Dans son premier long-métrage de fiction, le documentariste Jeremiah Zagar donne à voir une tranche de la vie du jeune Jonah, 9 ans, et de ses frères aînés. Adaptée du roman Vie animale (2012) de Justin Torres, la narration est construite de façon quasi fragmentaire, dans un enchaînement de moments qui pourraient être autonomes, indépendants les uns des autres. Jeux dans la forêt, baignade dans un lac, dispute brutale entre les parents, absence puis retour du père, fugue et refuge chez un voisin un peu plus âgé… tous ces moments ont un même point d’ancrage, de départ : Jonah. Au seuil entre l’enfance et l’adolescence, tout nous est transmis via son regard, sa perception, ses sensations. Ses mots, aussi, avec le fil conducteur mais poétique de sa voix off ; mots qu’on soupçonne être ceux qu’il consigne dans un carnet caché.
Le film nous plonge dès les premières séquences dans un tourbillon de gestes, de bruits, de vie. Le rythme est très juste, fait de fluctuations entre des instants calmes, intimes, et d’autres plus dynamiques. Ce qui est assez frappant, c’est le côté très organique de l’ensemble : la lumière, le cadre, les mouvements de caméra, le grain, le montage, la musique… Tous les éléments semblent répondre à des nécessités essentielles. Le choix de la pellicule 16 mm est très à propos, donnant une texture riche à l’image (toujours très jolie), un grain presque vecteur de nostalgie, et qui a une dimension sensible indéniable, donnant du relief aux peaux des personnages et à l’environnement dans lequel ils évoluent. Cette dimension plastique trouve son paroxysme dans l’intégration de dessins à l’histoire ; dessins qui sont animés, se créent sur le moment, au gré des humeurs de Jonah.
Ainsi, la proximité avec le protagoniste va bien au-delà de la caméra à hauteur d’enfant. Elle a lieu grâce à l’immersion dans sa vie intérieure, foisonnante et multiple, protéiforme : dessins, rêves, souvenirs, désirs, traumatismes… Et cette proximité est inédite pour le spectateur, puisque personne d’autre que lui n’a accès aux ressentis du garçon, pas même ses frères qui sont pourtant très liés à lui et omniprésents dans la fable. C’est d’ailleurs un des enjeux du film : ce carnet (à) secret(s), ce journal, restera-t-il intime ?
Le spectateur se retrouve emporté dans un flot incessant, qui l’entraîne tantôt vers de sombres abysses, tantôt vers les éclats de la surface. À l’instar de Jonah qui risque la noyade au début du film, et en revit le souvenir perpétuellement, on se laisse submerger. Par l’intensité et la beauté. Par la vérité de cette intimité.
J’ignore quel degré de fidélité le film entretient par rapport au roman. Zagar semble toutefois avoir intégré l’auteur de façon très forte au processus, relisant les versions diverses du scenario, assistant aux castings, venant sur le tournage. De plus, le récit de Torres est fragmentaire, comme l’est le film – ce dernier l’étant plus encore sans doute, puisqu’il ne retranscrit pas tous les épisodes de l’œuvre originelle, ou alors de façon si brève pour certains qu’ils n’apparaissent que comme des flashs, évanescents.
Mais finalement, peu importe à quel point le film retranscrit l’esprit du livre, puisque We The Animals est déjà plein de poésie, de sensibilité. Dans cette histoire d’amour et de violence, de fratrie et de fin d’enfance, il y a quelque chose de profondément primitif. Ça se passe au-delà des têtes. Ça saisit de façon charnelle, viscérale. Ça colle à la peau, et c’est ce qui est beau.