Une belle journée de fin d’été, à la campagne. Grégoire Duval se promène après un repas de famille. Au bord du lac, une jeune femme se prélasse au soleil. Duval l’aperçoit et tente soudainement de l’embrasser. Elle ne veut pas, se débat. Il l’étrangle, se sauve. Un coupable tout désigné est arrêté : Sautral, le petit-ami de la victime. La vie sans histoire du pharmacien Duval aurait pu reprendre son cours, comme si de rien n’était. Mais le notable est nommé parmi les jurés au procès du suspect. Son sentiment de culpabilité se faisant de plus en plus grand, il met tout en œuvre pour prouver l’innocence de Sautral. Celui-ci se fait finalement acquitter, restant toutefois responsable aux yeux de la communauté, notamment des notables. Duval va se livrer pour payer son crime et réhabiliter Sautral ; vérité que ses pairs ne parviennent pas à accepter.


Je dois dire que ce film est assez remarquable. Le scenario est bien écrit, le récit conduit par la voix off de Duval joué par l’excellent Bernard Blier. Lautner établit une critique fine sur l’hypocrisie des notables, qui protègent leurs semblables peu importe leurs agissements pour conserver les apparences et leurs propres privilèges. Si Sautral se positionne en homme seul contre la masse qui l’accuse, c’est également le cas de Duval, qui se dresse en défenseur du pestiféré. C’est aussi l’aveu de son forfait qui l’isole ; mais pas pour les raisons auxquelles on pourrait s’attendre. En effet, ce n’est pas parce qu’il a tué, mais parce qu’il vient troubler la tranquillité de ses comparses et leur fait risquer le déshonneur. Tous préfèrent alors ignorer ses révélations.


La construction du cadre est brillante, et accentue les dynamiques de pouvoir. L’image se décompose toujours sur plusieurs plans de façon intelligente, appuyant la narration ; elle différencie les personnages, hiérarchise leurs rapports, creuse l’écart entre l’individu et le groupe. Il y a une impossibilité de se soustraire au regard des autres. Sans échappatoire, le personnage est enfermé dans des mécaniques de mœurs qu’il ne supporte plus, tout comme sa culpabilité. Cet enfermement se voit souvent matérialisé à l’écran, avec la présence de nombreuses lignes qui rigidifient l’espace et cloisonnent Duval : rambardes d’escaliers, rayons de la pharmacie, agencement du tribunal…


Le son joue lui aussi un rôle essentiel dans l’aliénation de Duval. Les cloches ne cessent de retentir, sorte de décompte avant que ne sonne l’heure du coupable et de carillon funèbre pour la défunte. Le rire de cette dernière est également omniprésent, chant mortuaire entêtant.


Évidemment, malgré ses remords et sa volonté de faire éclater la vérité, le protagoniste n’est pas déchargé de sa responsabilité et de l’horreur de ses actes. Lors du meurtre, il apparaît à l’image en véritable prédateur, justement par la richesse de l’image : en arrière-plan, il observe sa victime qui bronze, en bordure des bois, tel un animal épiant sa proie avant l’attaque. Sa confession au prêtre est également un moment très beau, Blier filmé presque de dos, contant ses méfaits dans l’ombre sans qu’on voit son visage ; nous refuser son visage, son regard, c’est effacer son identité, lui retirer son humanité et l’assimiler au monstre. En deux mots : c’est brillant.

yvelise_thbt
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste De la page à la toile : romans adaptés à l'écran

Créée

le 4 avr. 2020

Critique lue 280 fois

6 j'aime

3 commentaires

yvelise_thbt

Écrit par

Critique lue 280 fois

6
3

D'autres avis sur Le Septième Juré

Le Septième Juré
oso
8

Émancipation tardive d'un pro du cacheton

Quand Lautner sort l’acide sulfurique de l’armoire à pharmacie pour mettre un coup de javel corrosif à la bonne moralité, il ne le fait pas à moitié, et ne s’arrête que lorsque le vernis des fausses...

Par

le 16 sept. 2014

29 j'aime

3

Le Septième Juré
Morrinson
8

Justice factice et paix sociale

Quel drôle d'effet que de se lancer dans ce Lautner, réalisé une année avant le film pour lequel il est aujourd'hui célèbre (Les Tontons flingueurs), en y attendant une comédie gentillette et...

le 31 août 2016

26 j'aime

5

Le Septième Juré
-Marc-
8

Lautner fait son Chabrol

Un meurtre fait apparaître l'hypocrisie méprisable de la bourgeoisie d'une petite ville de province. Pour éviter de fouiller parmi eux, tous s'acharnent sur le mouton noir, un jouisseur, séducteur et...

le 5 sept. 2016

21 j'aime

2

Du même critique

Le Septième Juré
yvelise_thbt
8

Fausseté de société et culpabilité

Une belle journée de fin d’été, à la campagne. Grégoire Duval se promène après un repas de famille. Au bord du lac, une jeune femme se prélasse au soleil. Duval l’aperçoit et tente soudainement de...

le 4 avr. 2020

6 j'aime

3

We The Animals
yvelise_thbt
7

We The Animals, ou la beauté fauve de l'enfance

Dans son premier long-métrage de fiction, le documentariste Jeremiah Zagar donne à voir une tranche de la vie du jeune Jonah, 9 ans, et de ses frères aînés. Adaptée du roman Vie animale (2012) de...

le 30 mars 2020

6 j'aime

2

Les Proies
yvelise_thbt
7

Piégées par leur désir

Alors qu’Amy se balade en forêt en quête de champignons, elle tombe sur un soldat blessé, fuyant la guerre de Sécession. L’adolescente lui propose son aide et le conduit jusqu’au pensionnat de jeunes...

le 3 avr. 2020

6 j'aime

7