"Film trouvé à la ferraille" comme Godard le dit lui-même. Poussé uniquement par la curiosité j’ai voulu tester mon seuil de résistance à la douleur. Car comme tout le monde j’avais un a-priori négatif sur ce film. Et à raison. Week-end est méchant, implacable, provocateur et ennuyant comme un meeting politique. C’est surtout une dénonciation violente de la société de consommation, ce qui me surprendra toujours de la part d’un grand bourgeois suisse protestant. Il y a d’après moi trois types d’explications possibles à l’attitude de Godard qui se radicalise encore plus avec ce film :
La fuite en avant d’un cinéaste de gauche frustré de ne pas pouvoir changer la société vers l’extrémisme à l’instar des membres d’Action Directe ou des Brigades Rouges qui ont subi ce genre de dérive à la même époque mais un extrémisme mêlé de dérision.
Une profonde crise personnelle de Godard suite à sa séparation avec Anna Karina et à sa brouille avec ses principaux amis qui l’aurait poussé vers l’aigreur et le rejet encore plus profond de tout conformisme, avec la certitude que la société capitaliste allait crever.
Ou alors Godard s’est fait récupérer à son insu par le pouvoir. Il ne s’est certes pas fait acheter. Mais il a reçu les encouragements de certaines élites intellectuelles pour son précédent film maoïste la Chinoise. Il est ainsi devenu à l’époque un maître à penser pour les sociologues, les journalistes de Libération et les professeurs de « gauche » tous proches des classes dirigeantes. Il s’est ainsi cru obligé grâce à son statut de Révolutionnaire de Festival de faire une surenchère de provocation de film en film. A la manière de certains agitateurs infiltrés dans les manifs qui attisent la colère par leurs discours enflammés et qui ne réussissent qu’ à faire passer les manifestants pour des casseurs irresponsables il n’a jamais fait en réalité que conforter le système.
Le film en lui-même ne serait pas supportable dans une salle de cinéma. Je soupçonne Godard d’avoir volontairement bâclé son film pour déstabiliser le « cochon de spectateur conformiste » et pour s’amuser des réactions provoquées. Au départ les visages sont filmés à contre-jour et une musique trop forte empêche volontairement de comprendre ce que dit Mireille Darc en soutien-gorge . Il faut donc jouer de la télécommande pour passer en avance rapide et arriver au fameux long plan-séquence travelling de l’embouteillage avec la route jonchée de carcasses de voitures qui est le moment le plus intéressant du film.
Là il faut vite appuyer sur « mute » pour ne pas entendre les coups de klaxons frénétiques. Il faudra à nouveau faire avance rapide pour les deux longs discours des révolutionnaires noirs et arabes. Quant à la fin avec le Front de Libération de la Seine et Oise c’est juste du remplissage à l’humour « bête et méchant » que l’on peut zapper sans problème. Grâce à la télécommande le film peut donc s’apprécier tout à fait normalement.
Le scénario de Week-End n’a plus aujourd’hui beaucoup d’intérêt et ne serait qu’une balise poussiéreuse de plus dans l’histoire du cinéma. Mais le concept de saborder son propre film est plutôt marrant. En outre ce qui fait d’un film un classique est le miroir qu’il tend sur l’universalité de la condition humaine. En ce sens la violence et la rage du couple de Français moyens indifférents à toute la misère sociale au volant de leur bagnole nous tend un miroir déformant mais parfaitement réaliste dans le fond et plus que jamais à l’ordre du jour. D’où ma note indulgente.