Gérard Depardieu filmé par Abel Ferrara dans une reconstitution de l'affaire DSK, vu par l'intéressé. Ça aurait du être énorme. Ou peut-être, c'était trop beau pour aboutir. Quoiqu'il en soit, Welcome to New York marque la désintégration totale de son auteur, Abel Ferrara. Son lâcher-prise était approprié pour 4h44, produit original imaginant les dernières heures avant la fin du Monde. Ici, c'est comme si un mourant tenait à revenir sur les termes du testament. C'est tellement choquant de la part de l'auteur de Bad Lieutenant ou L'Ange de la Vengeance qu'on est assommé et finalement, apathique. Même pas dérangés. Foutu, c'est foutu.
Avec Welcome to New York, Ferrara et Depardieu se complaisent dans la déchéance et semblent trouver en DSK un alter-ego suffisamment puant et irrécupérable pour incarner le haut statut de martyr qu'ils semblent tenir en estime. Ils réussissent effectivement à se salir, moins en se souillant comme des émos touchés par la grâce qu'en sabotant leurs qualités respectives. Ici Ferrara est revenu au social pur et sur ce niveau de lecture, il n'a plus de vision construite. Il n'en a jamais eu qu'associée à des enjeux plus forts, intimes et aux racines des sentiments humains, bien au-delà des simples lubies de civilisations d'un moment.
Le mode opératoire audacieux voir innovant du film a été évoqué. En effet, Welcome to New York, après avoir été présenté au public à Cannes au soir du 17 mai 2014 (samedi dernier), est sorti directement en VOD. Sa campagne promotionnelle a misé notamment sur les polémiques emmêlées, liées au sujet et à l'acteur principal. Mais en vérité, si ce film destiné au cinéma emprunte un parcours dissident, c'est surtout parce qu'il n'a pas sa place en salles selon des critères esthétiques. Welcome to New York, en dépit de ses arguments, n'est pas du tout à la hauteur. C'est même un fiasco, tout juste récupéré par Depardieu, éternellement génial et donc même malgré lui.
Le début du spectacle est déconcertant. La réalisation y est totalement foutraque, comparable à un produit audiovisuel honteux sinon baclé. Les idées sont rachitiques mais surtout il n'y a alors quasiment aucun travail de mise en scène. La seule notion directrice, c'est une représentation précise et cash du minable, mais au sommet, dans les grands hôtels. Nous sommes dans les méandres du cinéma amateur. Ces aspects désastreux vont tous être, progressivement, dépassés, pour que le film atteigne une certaine contenance, prenne de la hauteur avec peine, en entrant dans une dimension que Brisseau (Choses secrètes, Les Anges Exterminateurs) a arpenté également.
Le regard est indigent. Au début donc, claquage de culs et forçage de pipes, avec un Depardieu/Deveraux/DSK à poil au 70e étage. Comme c'est un peu léger, la dimension bestiale est mise en avant. Lors de certaines copulations au coin du lit, les acteurs se répandent en cris étranges, entre le bonobo impatient et la girafe enrhumée. Depardieu suit la ligne et se donne en vieux dégueulasse, maître de jeu dans un film porno d'une laideur sinistre. À ce titre, Ferrara et Depardieu sont en emphase avec leur monstre, leur DSK.
Welcome to New York montre bien qu'il n'y a même pas de plaisir pour DSK : c'est une jouissance sans gratification, appellant à plus de consommation, plus d'affirmation, encore et encore, même en vain. Lors de la fameuse scène de viol, il ne se passe rien. Un gros porc secoue une femme de chambre et lui impose une branlette faciale expéditive.
Après l'entrée en matière de vieux shocker érotique désuet et la petite prestation tant attendue de l'imitation de Nafissatou Diallo, voilà une demie-heure d'interminables séquences avec Depardieu en prison, examiné par les policiers, baladé et mis à poil à tous les degrés. Il se retrouve ensuite dans sa cellule de luxe avec Simone (Anne Sinclair), perçue comme une drama queen un peu cheap, interprétée par Jacqueline Bisset (excellent choix, bien plus approprié que celui d'Isabelle Adjani envisagé il y a un an).
Le gain de pertinence observé le long du show se concrétise lors de l'exercice de la liberté conditionnelle de Devereaux. Ferrara et Depardieu ont essayé de perçer cette solitude si singulière, ils la tutoient, un peu. Ils sont toutefois bloqués entre leurs propres desseins et l'histoire sur laquelle ils ont mis le grappin. Il faut rester sur ce qui rassemble le tandem voir le trio. Au crépuscule, passées les confessions hasardeuses à un psy de circonstance, c'est l'heure de s'engager sur la pente de la dissertation, à propos de la pauvreté et du pouvoir notamment.
Le film tant redouté, pour lequel on osait trop se faire d'illusions, a donné un téléfilm polémique, battant des records de téléchargements à sa sortie. Mais il dessert Ferrara, le cinéaste n'y gagnant que l'oppropre de l'entourage de DSK et un procès intenté par ce dernier, sans mériter de soutien pour son œuvre tant le point de vue est laborieux. Ferrara s'engage sur le dossier en soutenant presque ouvertement l'hypothèse d'une instrumentalisation de la justice, par Sinclair en faveur de son mari pervers.
Il introduit également un flash-back en référence à l'affaire Tristane Banon. Ces parti-pris sont téméraires mais assez stupides et n'apportent rien au film. Le postulat d'un DSK otage des ambitions de ses proches est intéressant mais Ferrara doit composer avec des faits précis et au final, il ne dit rien de malin. Par ailleurs, il y a de temps en temps le rappel du concret : les moyens matériels prompts à refléter fidèlement la réalité de Strauss-Kahn ne sont pas toujours au rendez-vous. Enfin, si vous voulez rire sans fausse pudeur, tournez-vous vers L'Enculé de Nabe, donnant lui aussi dans le pathos mais avec une réjouissante méchanceté, sans surenchérir dans l'amertume inconséquente.
http://zogarok.wordpress.com/2014/05/21/welcome-to-new-york/