Une jeune femme part à l'aventure avec sa chienne : elle trace vers l'ouest, dans la tradition de l'american dream. Comme dans Les raisins de la colère. Sauf que Kelly Reichardt choisit de faire avorter l'aventure. A la première étape, la voiture tombe en panne et Wendy perd sa Lucy.
Tout le charme du film est là : dans ce contraste entre le rêve et la réalité. Ce qui se dit en filigrane, c'est que l'Américain rêve encore d'ailleurs, peut même se mettre en route, mais que cet ailleurs est devenu inatteignable. L'ambition de Wendy va être, tout au long du film, simplement de retrouver son chien et de faire réparer sa voiture. Elle croise surtout de l'indifférence : sa soeur et son beau-frère trop occupés, l'arrogant jeune homme qui l'a pincée au supermarché, le patron de ce supermarché qui a l'air compréhensif mais qui pour finir s'en tient au "règlement", le garagiste qui ne lui propose pas grand chose à part mettre sa voiture à la casse. Parfois de la violence, comme cet homme dans les bois dont on craint qu'il l'agresse mais qui se contente de lui crier sa haine de la société. Kelly Reichardt a le bon goût de ne pas tomber dans le sensationnalisme, et la violence ne dépasse pas des vociférations ou des dents de vampire tatoués sur un visage.
Chacun est dans sa cage, comme les chiens que Wendy visite au chenil. Kelly Reichardt ne les juge pas, on peut comprendre le point de vue de chacun. Une seule rencontre est marquée par la solidarité : celle du vigile, qui paraissait de prime abord peu sympathique mais qui va l'aider, allant jusqu'à lui donner de l'argent. Son "je vous en prie, acceptez-le sans discuter" suivi de la vision de quelques dollars dans la main de Wendy, en dit long sur la misère de ce coin de l'Oregon, où l'on en est réduit à rapporter des cannettes au recyclage pour glaner quelques box.
Lucy est un peu l'âme soeur de Wendy, un croisement comme elle lance à l'une des hippies autour du feu de camp, tout comme Wendy est un croisement de fille et de garçon. Sans sa chienne, Wendy est perdue.
La grande surprise du film est qu'elle ne récupère pas sa chienne lorsqu'elle parvient enfin à la retrouver. Elle joue un peu à lui lancer son bâton, comme dans la première très belle scène, puis lui annonce qu'elle reviendra la chercher lorsqu'elle aura trouvé de l'argent. Après tous ces efforts pour la retrouver, on est étonné ! Peut-être parce qu'elle a pris conscience qu'elle ne pourra s'en occuper aussi bien que l'homme qui l'a recueillie ? A moins qu'elle ait réalisé qu'elle était assez forte pour continuer son chemin seule ? Les pistes d'interprétation sont ouvertes, ce qui est à mettre à l'actif du film de Kelly Reichardt.
La réalisatrice fait preuve de goût dans sa mise en scène, notamment lorsqu'elle choisit de suivre son héroïne en plan large : ainsi Wendy apparaît-elle comme perdue dans un décor trop vaste pour elle. A d'autres moments, elle est enserrée dans le cadre oppressant des WC de la station service, seul refuge où elle peut trouver un peu d'intimité.
L'honnêteté oblige toutefois à préciser que tout n'est pas aussi intéressant sur le plan formel : River of grass est beaucoup plus riche. Il ne se passe pas grand chose dans ce Wendy & Lucy, c'est un peu le Into the Wild du pauvre... Peut-être cette demi-teinte est-elle précisément ce qui lui confère, avec le temps, une saveur douce amère assez précieuse.