Il fallait être Spielberg pour oser s’attaquer à un remake du film au 10 oscars : West Side Story, sorti il y a 60 ans. Impossible de regarder ce film sans avoir en mémoire son modèle d’origine dont il est un hommage et avec qui il est en dialogue constant. Le film de 1961 n’est jamais très loin grâce à de nombreux clins d’œil, tel la robe blanche d’Anita que vient souligner la ceinture rouge et bien d’autres et surtout à travers le personnage de Valentina qui remplace celui de Doc. Il est interprété par Rita Moreno qui en 1961 jouait le rôle d’Anita pour lequel elle avait obtenu un oscar. Et enfin la version de 1961 est constamment présente tout simplement parce que Spielberg en est imprégné. Depuis tout petit il connaissait par cœur chacune des chansons et il portait en lui la conviction qu’un jour il travaillerait sur ce film.


J’attendais avec curiosité de découvrir la séquence d’ouverture. Je n’ai pas été déçue. Elle donne tout de suite le ton. Loin d’être une simple réplique, Spielberg joue en faisant du neuf à partir du matériau ancien. Reprenant l’idée d’une ouverture en surplomb, cette version de 2021 s’ouvre sur un travelling à ras le sol, la caméra glisse sur des gravats qu’elle caresse de son objectif avant de remonter le nez dans un mouvement inverse de la version de 1961, avant de nous offrir une vue aérienne sur des bâtiments en voie de démolition. Puis elle redescend à nouveau au niveau du sol qui s’ouvre tout à coup pour laisser sortir d’une trappe la tête d’un membre du gang des Jets.
Commence alors la longue séquence qui nous permet de faire connaissance avec les deux gangs qui s’affrontent : les Jets américains blancs et les Sharks portoricains. Cette ouverture est très rythmée, énergique et la caméra est dynamique.


Cette version de Spielberg se différencie du West Side Story de 1961 par divers points :
- Une plus grande complexité des personnages. Ils ont davantage d’épaisseur. Que ce soit les personnages principaux : Tony, Maria, Anita ou que ce soit les rôles secondaires comme Chino ou Anybody.
- Davantage de réalisme : les personnages sont bien « crasseux » ; le linge pendouille dans les ruelle de ces bas-quartiers d’émigrés ; la violence est plus marquée : les batailles ne sont plus stylisées ; les comédiens du gang sharks sont tous d’origine latino américaine ce qui donne plus de crédibilité à leur jeu ; la tentative de viol d’Anita est particulièrement violente. Si la comédie musicale de 1961 avait constitué un renouveau du genre par son ambiance sombre, 60 ans plus tard, Spielberg peut se permettre d’aller encore plus loin dans ce registre.
- Des thématiques actuelles : le féminisme est nettement plus présent. Par exemple lorsqu’Anita répond à Bernardo qu’elle a d’autre projets que de lui donner 6 enfants et de faire sa popotte ! Ou encore à travers Anybody qui de « garçon manqué » est devenu ici un homme trans.
- Une thématique nouvelle : celle de la démolition de certains quartiers de New York qui a entraîné des guerres de gangs dans les années 50. Thématique présente dès l’ouverture du film par l’affiche qui montre les plans des projets de construction puis à travers les menaces du sergent Krupke et différents dialogues du film.


Au plan esthétique, il y a une vraie recherche. D’abord, faisant contraste avec la crasse qui imprègne plusieurs scènes, d’autres séquences sont au contraire marquées par des couleurs saturées :
- la séquence du bal
- ou la chorégraphie sur la chanson America qui se déroule ici en pleine rue.
- Ou encore la séquence qui se déroule dans l’atelier de couture où travaillent Anita et Maria. Dans cette version, il est luxueux, coloré et raffiné. Et surtout il est rempli de miroirs qui multiplient à l’infini les personnages et qui renforce les paroles de la chanson I feel Pretty qui mentionne à plusieurs reprises le thème du miroir.


Mais le travail le plus remarquable porte sur le travail de la lumière. Elle accompagne, en particulier, les personnages de Tony et Maria :
- D’abord lorsque pour la première fois ils se voient lors du bal, les projecteurs éblouissants les séparent du reste des danseurs ;
- lorsque Tony vient sous le balcon tel un Roméo faisant son aubade à sa Juliette, la lumière est très étudiée, sur les visages mais aussi avec la présence des lampes brillant comme des étoiles,
- lors de la scène de leur « mariage » sans témoins : ils sont baignés de lumière ;
- lors de leurs retrouvailles après la mort de Bernardo et Riff : leurs visages à contre jour est plongé dans l’obscurité tandis qu’un liseret de lumière souligne le contour de leurs traits pendant que la chanson de Valentina parle de pardon et d’espoir
- et enfin lors de leur dernière rencontre qui a lieu dans une ruelle sombre baignée de lumière.
Les ombres ont également leur importance. En particulier lors de la séquence dramatique de l’ultime bagarre dans le hangar. La caméra filme en plongée les deux gangs qui s’avancent face à face dans un espace lumineux qui s’assombrit au fur et à mesure de leur avancée grâce aux ombres projetées au sol. C’est sublime visuellement et symboliquement. Le point de vue est de nouveau repris quand il ne reste plus que les deux corps morts au sol. Les ombres les recouvrent peu à peu, ce sont cette fois-ci celles des policiers qui arrivent sur la scène du drame.


Dernier point que je voudrais souligner, c’est le personnage de Tony qui a été revisité à frais nouveaux dans cette version. Il n’est plus seulement un jeune homme qui rêve de vivre quelque chose d’inattendu, de nouveau, qui le sorte du monde des gangs. Il est surtout quelqu’un qui a vécu une transformation intérieure. Après avoir découvert la violence dont il était capable lors d’une bataille entre gangs et après avoir connu la prison il est sorti métamorphosé, ayant peur de ce qu’il est capable de faire et rejetant radicalement la violence. Le thème apparaît dès le dialogue entre Riff et lui avant la scène du bal. Puis le thème ne cessera de revenir. Thème qui atteint son sommet lors de la bataille dans le hangar. Tony s’efforce de désarmer les combattants par sa parole et en encaissant coups de poings après coups de poings, sans les rendre, dans l’esprit de la non-violence, jusqu’à l’événement fatidique qui fait tout basculer…
Après cette scène tragique, nous sommes conduits dans la chambre de Maria et la caméra ouvre cette séquence par un plan fixe sur un crucifix qui surplombe le lit. Image symbolique : le Christ étant par excellence un messager de paix qui a refusé d’utiliser la violence pour se protéger et qui est mort pour avoir parlé d’amour et de paix. Puis du lit surgit Tony dont le corps cache le crucifix lorsqu’il se redresse. Tony est bien dans cette version de Spielberg un messager de la paix qui échoue lui aussi à se faire entendre jusqu’à la scène finale ou cette fois-ci, peut-être, on peut espérer que les survivants entendent le message tandis que Maria reprend le flambeau de Tony et leur crie l’absurdité de cette logique infernale. Le film se termine par une séquence empreinte de solennité laissant entendre que le message est enfin passé.


Le générique de fin fait alterner jeu de lumière et d’ombre qui aura accompagné tout le film et qui est l’image de nos vie dans lesquelles s’entremêlent ombres et lumière.


Merci et bravo Mr Spielberg pour ce rêve d’enfant que vous avez réalisé et auquel vous nous aviez convié !

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le 3 mars 2022

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abscondita

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