West Side Story par Clément Latzarus

J’étais un peu sceptique sur la nécessité de faire un remake de West Side Story, et je ne me serais sans doute pas précipité au cinéma sans les bonnes critiques et le fait que ce soit Spielberg - qui malgré quelques navets à son actif est quand même un mec qui sait faire des films, et l’une des rares personnes à Hollywood qui ait à la fois des idées progressistes et assez de liberté pour en faire ce qu’il veut.

J’ai une certaine tendresse pour le film de 1961, que j’ai découvert au bon moment (l’adolescence), mais surtout pour le livret et la musique de Bernstein, je ne mets pas le film lui-même sur un piédestal. J’y vois aussi beaucoup de choses qui ont mal vieilli, à commencer le fait que la protagoniste Maria, qui est censée être portoricaine, soit incarnée par une américaine bien blanche qui oublie son accent quand elle chante. Ce serait maladroit dans n’importe quel film, mais devient carrément gênant quand un des sujets du film est la difficulté à s’intégrer dans une communauté quand on a pas la bonne couleur de peau…

Si le critère pour juger la réussite d’une adaptation, c’est la fidélité à l’original, alors le contrat est rempli. C’est très fidèle visuellement, on retrouve le livret et la musique de Bernstein aussi, sans ajout de passage rapés, de beat box ou d’autotune. L’esprit général et les thématiques sont bien là, et ça fait prendre conscience (pour qui en douterait) que l’experience d’une personne racisée n’a pas beaucoup évolué en 60 ans. Ceci étant dit, je ne vois pas trop l’intérêt de faire un remake plan par plan (cf. La Belle et la bête) et si ça s’arrêtait là, je dirais moi aussi « Mais pourquoi » ?

Sauf qu'en plus, Spielberg sublime vraiment l’original en terme de mise en scène. Certains passages chantés ou dansés sont beaucoup plus inventifs et dynamique, là où dans le film de 1961, c’était juste Richard Beymer qui marchait dans une ruelle en chantant (je pense à « Something’s coming » et « Maria »). D’autres racontent vraiment quelque chose et font avancer l’histoire et l'arc des personnages, comme « Cool » qui est un peu anecdotique dans le film de Wise. Et « I feel pretty » ! Je ne spoile pas, mais je dirai juste que le film ajoute un niveau de lecture pour en faire un commentaire social, sans changer une seule ligne des paroles, juste par la mise en scène.

C’est un film dont on sort le coeur brisé (comme le premier) mais aussi, et c’est nouveau, assez mal à l’aise. Parce que Les Jets. Dans le précédent film, ils étaient, dans mon souvenir, des bads boys au grand coeur, aujourd’hui ils sont devenus de jeunes hommes racistes, misogynes, homophobes et transphobes. Bref, des hommes normaux des années 50 montrés de manière réaliste, sauf que le film appuie là où ça fait mal. Et qu'aujourd’hui, on n’excuse plus aussi facilement ça au prétexte qu’ils ont eu une « enfance difficile ». D’ailleurs, j’aime toujours autant « Gee Officer Krupke! » mais il y a un détail assez glaçant dans ce passage qui m’avait échappé sur le moment et que j’ai du me faire expliquer après (par une femme…).

Un bon remake, pour moi, ne fait pas qu’être fidèle à un original, il lui rend hommage tout en prenant une saine distance et en posant dessus un regard critique. Et c’est ce besoin de recul, parce qu’en 60 ans le monde a changé, qui rend le remake nécessaire, ou au moins justifiable. En plus de tout ce qui était abordé dans West Side Story 1961, cette version 2021 parle aussi, et peut-être surtout, de masculinité toxique, d’hommes blancs qui voient le monde se transformer autour d’eux, se construire sans eux et qui ne supportent pas l’idée de perdre une once du pouvoir qu’ils ont depuis si longtemps. Et qui sont prêts à mettre le monde à feu et à sang pour le garder. C’est un film qui sous prétexte de parler du passé, nous parle du présent, et nous rappelle qu’il sent parfois un peu le moisi. D’une manière, à mon humble mon avis, assez brillante.