Dans la longue lignée des adaptations de pièce de Shakespeare, l’une des plus appréciés et des plus reconnus par le grand public est sans mal la version post moderne de Roméo et Juliette adapté de la comédie musicale de d’Arthur Laurents, Stephen Sondheim et Leonard Bernstein West Side Story.
Dans le contexte de sa sortie, la comédie musicale était un genre qui a subi une longue traversée du désert à partir de 1957 après Les Girls de George Cukor (tout comme la comédie musicale peine énormément à s’imposer au cinéma de nos jours à la notable exception de La La Land de Damien Chazelle). West Side Story, en plus d’être multi oscarisé, est et restera le film qui a redonné un souffle au genre à sa sortie, difficile de nier quand on voit l’avalanche qui a suivi avec les Mary Poppins, La Mélodie du Bonheur, sans parler des Les parapluies de Cherbourg ainsi que Les demoiselles de Rochefort sur le territoire français ou encore le Phantom of the Paradise de Brian de Palma bien plus tard.
West Side Story, avant d’être une transposition de la pièce Roméo et Juliette, est avant tout un constat sur deux générations de gens auxquels Robert Wise donne une origine à la haine mutuelle développé l’une envers l’autre. Les jets dont le groupe est composés de jeune issus de familles d’immigrés au foyer brisé, maltraités et visiblement sans avenir et les sharks pour désigner les immigrés portoricains (le nom n’est pas anodin puisque ce sont les jets qui les appellent ainsi, les considérant comme des voleurs) victime de la discrimination américaine et du rejet en raison de leurs origines et de leurs non appartenance, faisant d’eux une minorité également dépouillé de tout avenir radieux et qui renvoi logiquement leur haine envers les jets.
Ce rejet est montrée en l’espace d’une scène lorsque le lieutenant Schrank entre dans le bar de Doc au moment ou les deux camps se sont mis d’accord pour un duel nocturne, et use de son autorité de représentant de la loi pour parler avec mépris et irrespect des portoricains comme des jeunes de quartiers défavorisés, alimentant par la même occasion la haine et la frustration de ces deux minorités. C’est court, c’est mineur mais pourtant je trouve que c’est ce qui donne tout son sens à leur haine ainsi qu’aux deux chansons magnifiquement écrite par Leonard Bernstein un peu plus tôt qui, eux, étaient traités avec plus de légèreté et d’amusement car uniquement centré sur le groupe.
Et au milieu de tout ça : Tony, ex jets et en proie à un avenir certes très modeste mais ça reste un avenir, et Maria la Juliette version années 50 portoricaine qui est mise à l’écart de ces bagarres de rues et qui ne souhaite que sortir et profiter de la vie. En principe j’ai du mal avec une romance qui éclate sur un simple coup de foudre, la version Baz Luhrmann avec Leonardo Dicaprio ou même la version brute du texte de Shakespeare m’avaient laissés perplexe. Mais là pour l’occasion, ça marche pleinement parce qu’encore une fois il y a un point de départ qui justifie leur relation naissante, une adaptation entièrement adéquate avec l’époque choisie et les dialogues, sans parler du duo Natalie Wood**/Richard Beymer** ne cesse à aucun moment de faire des merveilles pendant ces 2h30 et pour qui on éprouve une énorme empathie malgré le destin funeste qui deviendra de plus en plus inéluctable.
Et cette dualité haineuse entre les deux gangs et cette romance fusionnelle entre Maria et tony passent aussi bien par l’écriture que la manière avec laquelle Robert Wise filme ces confrontations dans une reconstitution très solide et artistiquement soignée de l’Amérique des années 50 : à l’image du plan très carré et esthétique sur l’ensemble de la grande salle de fête réunissant les cavaliers et cavalières jets comme sharks. Les membres d’un camp comme de l’autre ne faisant que se rencontrer sans cesse pour retourner vers les leurs et le centre de la pièce étant utilisé comme lieu de rencontre (entre Tony et Maria) ou de conflit lorsque Bernardo et Riff s’en mêlent. Ce principe du cercle est d’ailleurs réutilisé plus tard lors du duel entre Riff et Bernardo, et un camp de chaque côté du cadre.
En plus de cela, la photographie est magnifique, les lumières et les couleurs sont mises au service de l’atmosphère (à l’image du point d’orgue lors de la reprise générale de Tonight) et les chorégraphies sont travaillées au pas près, les acteurs semblant même s’amuser en plus de s’investir pleinement lors des moments les plus relâchés comme la chanson America ou des moments plus intimes comme la première version de Tonight ou même romantique comme Somewhere entre Maria et Tony. Les rues de New-York et les pièces les plus étroits se transforment en grand musical cinématographique emportant son spectateur sur son passage.
Tout cela fait que West Side Story, en plus de réadapter avec génie et avec une profondeur étonnante la pièce de théâtre d’origine (et la pièce de Broadway), tout en restant fidèle à l’esprit d’origine de la pièce mais pas sans prendre une ou deux libertés pour le bien du message anti haine qui découlera de cette histoire d’amour qui, visiblement, ne pouvait que mal finir. Plus de 55 ans ont passés depuis la sortie acclamée de cette comédie musicale, et pourtant c’est un de ces films qui n’ont rien perdu de leur force émotionnelle ou de leur atmosphère.
Conclusion, faut regarder ça, qu’on soit pro comédie musicale ou pas et qu’on aime ou pas William Shakespeare. C’est à la fois traditionnelle et modernisée en plus d’être bien pensé, surtout que les comédies musicales ambitieuses se font plus rares de nos jours (La La Land et les films de princesse Disney étant une exception).