When We Were Kings
7.8
When We Were Kings

Documentaire de Leon Gast (1996)

Pour tout te dire le sport et moi on est pas vraiment copain.


Disons que plus que la pratique sportive, ce sont ses représentants qui ont le don de m'irriter tout particulièrement.
Soyons honnête, le sport j'ai tout de même essayé. J'ai tenté le coup quand j'étais môme.
Comme tout bon enfant des années 80 - sans ordi, sans tablette, sans portable, sans argent de poche - les mercredi après-midi se passaient sur les terrains de foot ou autres gymnases fleurant bon la chaussette macérée, à taper dans des ballons de toutes sortes et à transpirer plus que de raison.
Le choix était vite fait pour occuper ces mercredi moroses: Prendre son vélo et s'arracher fissa taper le cuir avec les collègues ou s'abrutir doucement devant le "Club Dorothée" et se taper ses premiers émois sexuels sur le décolleté pigeonnant de l'hystérique Ariane.
C'était bouger son corps ou toucher son corps durant ces mercredi interminables. J'avais choisi le sport, pauvre inconscient que j'étais.
Car si taper au but avec un bout de cuir râpé et marquer dans des cages faites de vieux sweats délavés ou jouer au tennis avec une corde tendu entre deux bornes incendies avec les potes du quartier étaient parmi les plus grands plaisirs de ma vie d'enfant, le sport en club, le sport qui se prend au sérieux m'emmerdait royalement.
Les entraînements réguliers, les gestes répétés inlassablement jusqu'à te dégoûter de ton sport préféré, les matchs du samedi avec ces garçons insupportables qui se prenaient tous pour Maradona. L'horreur !
Tes équipiers ! Petits bourgeois beaux comme des Dieux et cons comme des bites. Les mêmes qui trônaient majestueusement sur leurs mobs rutilantes et qui raflaient les faveurs des bonasses du collège.
Le statut d'idoles que leur conférait cette minuscule célébrité sportive me hérissait le poil. Ce menton levé, cet air hautain parce qu'il jonglait mieux que les autres, cette suffisance imbécile et tapageuse que pouvait donner une aptitude sportive quelconque, alors qu'un bon pianiste ou un bon dessinateur aussi habile dans leur art que le sportif, ne pavoisaient jamais.
C'est donc avec le souvenir aigri du sportif idiot et prétentieux que je quittais l'enfance et m'enfonçais inexorablement dans une adolescence pleine de bières tièdes, de bédo surchargés et de masturbations frénétiques.


Le sport et les sportifs étaient sortis de ma vie. Naturellement.
Certains grands exploits ne me laissaient pas indifférents et je concevais aisément la performance réelle de gagner un grand Chelem, une coupe du Monde de Football ou le 100 mètres des Jeux Olympiques, mais à chaque fois que ces cons ouvraient la bouche c'était un tissu de banalités, de phrases toute faites et d'auto-congratulations béates qui me laissaient blasé, les épaules basses et tuaient à mes yeux l'exploit sportif sous des tonnes de niaiseries et de fautes de syntaxe.


Mais il y en a un. Un sportif pour lequel mes critiques, mes anathèmes définitifs et exagérés n'ont pas eu de prises.
Trop beau, trop intelligent, trop grand. Unique. The Greatest Mohamed Ali !


En 1960, a à peine 18 ans, il remporte la médaille d'or des poids mi-lourds aux Jeux olympiques d'été à Rome. A la force du poignet, il bat les nombreux adversaires qu'on lui met devant les gants pour devenir, naturellement, le challenger officiel du champion du monde poids-lourds: The "Black Bear" Sonny Liston.
Cassius Clay remporte le combat le 25 février 1964, ainsi qu'une revanche houleuse le 25 mai 1965.
Entre les deux matchs, Cassius se converti à l'Islam et rejoint l'organisation Nation of Islam. Il devient Mohamed Ali. En 1966, il refuse de servir dans l'armée américaine engagée dans la guerre du Viêt Nam et devient objecteur de conscience gueulant aux journalistes effarés qu'il n'a rien contre le Viêt-cong car "jamais aucun Vietnamien ne l'avait traité de nègre."
Jugé, il est condamné à une amende de 10 000 dollars et à 5 ans d'emprisonnement, il perd sa licence et son titre. Il évite la prison de justesse.
En 1970, Ali récupère sa licence et reprend la boxe. Quelques combats pour se refaire la main, pour prolonger son invincibilité et le 8 mars 1971 c'est le premier des affrontements avec son grand rival Smokin' Joe Frazier. Ali perd pour la première fois de sa carrière.
Frazier met un terme à l'invincibilité du Greatest (qui lui en voudra de nombreuses années). Il décide alors de mettre en oeuvre un marathon pugilistique pour revenir au sommet où il affrontera les trois plus grands boxeurs du moment du plus "facile" au plus "fort".
Le 10 septembre 1973 à Los Angeles, il combat contre Ken Norton qui l'avait battu quelques mois auparavant. Il prend ensuite sa revanche aux points contre son "meilleur ennemi": Joe Frazier le 28 janvier 1974 au Madison Square Garden de New York.
Il ne lui en reste dorénavant qu'un seul. Le plus fort. Le plus dur. Un jeune boxeur étonnant, le nouveau champion du monde. Une machine à tuer sans peur et sans reproches, invaincu en 40 combats dont 37 gagnés par KO.


On en est là !


1974.
Un jeune promoteur de boxe du nom de Don King joue sur l'engouement des noirs Américains pour le "retour aux racines" très seventies et parvient à faire cracher cinq millions de dollars pour le champion et le challenger au dictateur Zaïrois: Le très bien chapeauté Mobutu Sese Seko qui souhaite faire la promotion de sa dictature tropicale.
Le combat est annoncé pour le 24 septembre 1974.
Les deux combattants passent l'été à s'entraîner sur la terre Africaine au son des tam-tam, des chants tribaux et de quelques stars de la musique Américaine venus célébrer la grande fête, la réunification des peuples Noir.
Les chants folkloriques, les incantations pleines de magie noire, les sorcières Congolaises qui susurrent les malédictions et les jettent au visage de l'envahisseur Foreman ( qui fit l'erreur de descendre de l'avion avec un Berger Allemand qui rappelait aux autochtones la police du colon Belge).
Le folklore Africain traditionnel qui accueille après tant d'années de séparation ses enfants qu'on lui avait enlevé à la naissance. James Brown, The Spinners ou B.B King qui rentrent à la maison téter la mamelle noire et opulente de Mama Africa et viennent faire le lien entre le Blues, la Funk et les percussions entêtantes, les transes ancestrales.
Le peuple Zaïrois (enfin, ceux qui ne sont pas emprisonnés par l'odieux Mobutu) vient communier avec ces lointains cousins du nouveau monde et a dèjà choisi son camp au cri de tonitruants "Ali bomaye !" (Ali tue le !).
Les séances d'entraînements sont de véritables "happenings" (comme toujours avec Ali) et tandis que Mohamed gueule, invective son adversaire, parade, George Foreman tape, encore et encore, laissant un creux de la taille d'une pastèque dans le cuir de ce sac de frappe.
Ali le sait. Il est moins jeune, il tape moins fort, il n'est plus aussi virevoltant qu'à ses débuts. Il sait que George est l'adversaire le plus puissant qu'il ait eu à affronter, que ses coups sont dévastateurs et qu'il n'a pour ainsi dire aucune chance.
Le show aux séances d'entraînement se fait plus rare. Ali est pensif, il réfléchit.
Il part courir des heures aux bord du fleuve Congo. Les gamins le poursuivent, s'accrochent à ses bras, lui disent qu'il est le meilleur, qu'il va battre le colon "blanc" George Foreman.
De retour sur le ring d'entrainement, il devient le sac de frappe de ses sparrings. Les bras hauts, les gants collés sur le visage et ses côtes offertes aux coups violents de ses coéquipiers. Ses entraîneurs ne reconnaissent plus leur boxeur.
Ali a mis à contribution ses longs footings au bord du Congo. Il a réfléchi. Il va changer sa boxe. Il va modifier son style. Il ne va pas "fly like a butterfly sting like a bee", il ne va pas lui tourner la tête au gros Foreman, il ne va pas danser: Il va le fatiguer.
Foreman est un monstre, un puncheur assassin qui n'a jamais dépasser le quatrième round, un robot qui ne cesse d'avancer et de frapper. Ali a un plan: Encaisser, éviter, encaisser, éviter...Jusqu'à ce que Georges ne puisse plus lever ses énormes poings.
Mais pour ça, il faut s'endurcir, bouffer des coups de boutoir en pleine tronche, des coups de pelle dans les côtes, insensibiliser son corps, l'habituer à avoir mal, lui qu'on ne pouvait toucher, lui qui boxait les bras ballants, lui qui dansait face à Sonny Liston, il veut dominer la douleur, en faire sa meilleure alliée.
A cause d'une blessure à l'oeil de Foreman, le combat aura finalement lieu le 30 octobre 1974 dans le stade Tata-Raphaël de Kinshasa.


4 heures du matin (pour coller avec la téloche Ricaine), les deux acteurs de cette pièce sanglante font leur apparition dans le stade.
"ALI BOUMAYE !" retentit dans l'immense stade. Les deux hommes montent sur le ring, Foreman en short rouge et Mohamed avec son célèbre short blanc.
Les hommes se toisent, Ali scande le dorénavant célèbre "Ali Boumaye" face à un public chauffé à blanc tandis que Foreman reste droit face à lui, statique, le fixant droit dans les yeux, prêt à le détruire.
Les deux combattants se tapent enfin dans les gants.


La cloche retentit. C'est le début du premier round...


Le reste appartient à la légende.

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le 6 juin 2016

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