(Cette critique possède des éléments potentiellement divulgâchants)
Je viens de lire plusieurs critiques de mes éclaireurs sur ce film auquel ils ont mis une meilleure note que moi. Leurs critiques sont pleines de bon sens, d'une analyse ciselée et justifiée sur le film qui est presque à ranger du côté des chefs-d'oeuvre.
Je suis d'accord sur la forme: c'est un bel objet cinématographique. Cette immersion dans la quête de l'excellence dans la confrontation d'un prof et de son élève, se révèle hypnotique. Les deux acteurs subliment leur jeu: l'élève dans l'acceptation d'une souffrance toujours plus intense, le maître dans sa rigidité d'apprentissage à la recherche de la perfection. Cet affrontement est porté par une photographie léchée où les nuances ambrées donnent du relief au sang et à la sueur. Ici, on bosse, on souffre, on expulse de la douleur physiquement. Et ça se voit! le montage est également au service de cette opposition qui va crescendo au rythme du jazz. En bref, Damien Chazelle maitrise son sujet et on ne voit pas le temps passer.
Pourtant... Je ne peux pas m'empêcher d'être parasité par le fond, ramenant toujours sur cet éternel questionnement de notre rapport intime à une oeuvre. A juste titre, mes éclaireurs ont mentionné que le professeur leur faisait penser au sergent instructeur du Full Metal Jacket de Kubrick. On retrouve effectivement cette même appétence à passer par l'humiliation insultante pour tirer ici le meilleur de l'élève. Ce levier est si central dans leur relation qu'il constitue l'élément moteur du film jusqu'au dénouement qui semble confirmer toute l'efficacité de cette méthode. Et c'est bien sur cet aspect que je ne peux pas passer outre. Conclure le film sur le sourire J.K.Simmons devant la "perfection" enfin atteinte par son élève, est une forme implicite de caution à la souffrance comme vecteur fondamental dans le processus créatif. C'est d'ailleurs tellement assumé de la part du professeur, qu'il prévient plutôt dans le film n'avoir aucun remord sur ses méthodes, alors même qu'elles sont l'objet de son éviction de l'école de jazz et de la dérive ultime d'un de ces anciens élèves.
Cet ode à la performance ou la quête de la perfection, par l'humiliation et la violence tant morale que physique est un thème qu'on peut effectivement retrouver dans beaucoup d'oeuvres. Mais j'ai toujours peur des raccourcis dans lesquels s'enferment beaucoup d'artistes se considérant maudits ou incompris. Non! la souffrance est très loin d'être le seul moyen ou le plus efficace pour aboutir à un acte de création. Heureusement que la palette est beaucoup plus large que ça.
Il est aussi parfois important de rappeler qu'on peut amener quelqu'un à l'excellence en le tirant vers le haut, sans valorisation à outrance, mais en reconnaissant la qualité et la quantité d'un travail permettant de solidifier une confiance en soi encore balbutiante...
Définitivement, ce film me pose un problème. Je ne peux pas séparer la forme (excellente) du fond (beaucoup plus discutable).
Le devrais-je? rien n'est moins sur...