La musique est un art pur. A son écoute, les émotions qui nous parcourent sont à la fois mystérieuses et immédiates. Corps, cœur et esprit s'unissent au rythme des pulsations et des sons harmonieux. C'est une alchimie complexe, dont les musiciens sont à la fois les maîtres et les disciples. On serait tenté d'en saisir la magie impalpable, de la reproduire autrement que par des sons, bref d'en faire une expression qui rentre plus dans notre entendement. Pourtant la musique est cette chose qui ne se laisse emprisonner dans aucune boule de cristal.
Je pars trop loin? Ok et ce n'est sans doute pas le jeune protagoniste de Whiplash, Andrew Neiman qui dirait le contraire. Elève au prestigieux conservatoire de Shaffer à New-York, ce jeune homme décide de se consacrer entièrement à son art : la batterie. Poussé par un chef de conservatoire tyrannique et ambigu, il veut devenir un batteur jazz de l'extrême, un des grands. Mais l'ambition d'excellence consume peu à peu son humanité. Combien de coups de fouet (whiplash en anglais) pourra t'il endurer?
Damien Chazelle, le réalisateur, dont c'est le deuxième film (et qui a aussi scénarisé, dans un tout autre genre, l'exorcisme d'Emily Rose 2...), nous raconte avec Whiplash deux choses. Tout d'abord, on assiste au rapport de force musclé entre Neiman et son professeur sadique Fletcher (incarné avec jubilation par J. K. Simmons, le chef des néo-nazis dans l'excellente série Oz). Plutôt que rapport de force on pourrait dire lynchage systématique puisque Fletcher ne recule devant aucunes perfidies et coup bas pour désarçonner son élève. Cette face là du film est à la fois la plus drôle (les dialogues en V.O. bardés d'insultes sont jubilatoires) et la plus dramatique (Neiman perd littéralement pied et sa relation avec son père, la seule personne avec qui il a une vraie relation, apparaît de façon assez pathétique).
Mais ce que cache à un niveau plus profond Whiplash est la quête de la musique parfaite, ce pèlerinage intérieur, cette convergence des éléments -quasi-mystique, sinon miraculeuse - qui fait passer le musicien du stade de joueur de musique à celui de véritable Artiste. C'est tout le mérite du film d'avoir laisser une place importante à cette recherche presque arthurienne du Graal musical. Ainsi Chazelle se concentre énormément sur l'aspect sonore de son film et la façon de communiquer visuellement l'expérience de jouer à un tel niveau de batterie. Le final du film est l'apothéose de cette recherche. Le montage, crucial pour faire converger son et image, dilate peu à peu le temps, comme si la batterie de Neiman contrôlait le monde à cet instant. Le dernier échange de regard entre Neiman et Fletcher, devenus presque frères ennemies, pourraient durer une fraction de secondes comme une longue minute, car durant cette séquence Chazelle réussit à franchir le "quatrième mur du son" (ah je pars trop loin encore?).
Autant dire que ce deuxième aspect du film, cette recherche quasi conceptuelle de l'essence de la musique, est pour moi la meilleure chose de Whiplash, qui serait sans cette intention une histoire assez classique de relation maitre/élève (on n'échappe pas à certains lieux communs, comme une séquence d'accident au deux tiers du film qui fait redouter un retournement à la Million dollar Baby). D'ailleurs on peut lire chez certains commentateurs un rejet du film, du à une soi-disant mauvaise conception de ce qu'est vraiment le jazz (car Charlie Parker se prenant une cymbale dans la tronche après un solo foireux reste probablement une légende, contrairement à ce qu'affirme à plusieurs reprises le prof Fletcher - donc c'est pas obligé de se martyriser pour devenir un bon jazzman).
En somme, Whiplash est une bonne histoire, peut-être un peu alourdie par certains lieux communs et préjugés, mais pourtant très pertinente dans sa façon de laisser une place importante à la pratique de la musique et dans ses choix pour mettre cela en valeur (notamment grâce à un montage d'orfèvre). Je pense que plus d'un spectateur à bouger la tête et synchroniser son rythme cardiaque aux coups de baguettes d'Andrew sans s'en rendre compte.
Moonki
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le 11 janv. 2015

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