(Attention Spoilers !)
Dure période que l'adolescence : on ne sait pas trop où l'on est mais on sait où l'on veut être. Andrew Neiman lui, il veut devenir le meilleur batteur de son époque, peu importe le montant de l'addition, l'important c'est de rentrer dans ce trône qui lui revient de droit.
On fait la connaissance de Fletcher, le chef du Studio Band, le meilleur jazz band du meilleur conservatoire des États-Unis. Le personnage est exécrable et le visage ridé et dur de J.K.Simmons porte très bien le costume de ce dictateur de la rythmique, éviscéré par le viol de la mesure.
Le tyran commence par virer un élève dont la charge pondérale est exclue du système du Studio Band, l'erreur musicale est conçue dès lors comme une non-conformité gênante, à éliminer par le bannissement froid et autoritaire, en brisant l'élève dans sa personnalité, en l'humiliant publiquement. On comprend tout de suite qu'il ne s'agit pas là d'un simple groupe de jazz. Le Studio Band n'est pas une micro-société dont on pourrait s'échapper sans casse, il cristallise toutes les ambitions et toutes les personnes qui le composent.
Le jeune Andrew fera vite les frais de ce modelage. Il entre dans son fauteuil à coup d'insultes et de baffes. Il décide de s'inculquer par cœur les rythmes saccadés des morceaux Whiplash et Caravane à force de grandes sessions plus sportives que musicales, seul devant sa batterie, en réalité seul face à son ambition, sans se rendre compte des murs autours de lui qui le cloisonnent continuellement et le narguent durant toute la première partie du film. Car les plans sont d'abord très étroits, assombris par le bois marbré de la salle de répétition, et notre jeune protagoniste se trouve continuellement dos au mur.
On tombe dans l'à-tout-prix quand Andrew quitte sa copine pour se vouer à une vocation qui vaut bien mieux qu'elle, malgré les incantations dictatoriales et la violence de son bourreau personnel. La souffrance est là, le masochisme aussi, sans que notre premier personnage ne se lamente, s'inculcant les tables de la loi de la mesure en ses mains meurtries, lors d'entrainements effrainés qui frisent la fantaisie bourdieusienne ou la colonie pénitentiaire kafkaïenne.
À ce rythme on finit toujours par craquer, par s'envoyer par le décors. Et la force centrifuge exercée par les roulements de tambours incessants aura bientôt raison du jeune Andrew, propulsé hors du Studio Band dans un vacarme, qui le laissera seul face à lui-même et à sa folle ambition ainsi qu'à sa triste soumission.
Nous quittons le Studio Band, déçus, lessivés, résignés. Nous voilà dans une nouvelle société, où les coups bas sont permis, où Andrew se fait tout petit pour plus tard mieux ressurgir dans un final glaçant. Il renouera avec son vrai père dont la carrière de prof lui faisait honte, et il rappellera son ex-bien-aimée, regrettant sa mégalomanie autodestructrice.
Bref Whiplash est un très bon film sur l'adolescence dont on a m'a dit une fois que c'était un moment où il fallait savoir se faire tout petit pour grandir et s'épanouir plus tard. La mise en scène reste assez limitée par les plans intérieurs mais elle est cohérente avec l'idée du film. On pourrait peut-être déplorer un certain manque de personnages féminins. Sa mère et morte et sa copine n'en vaut pas la peine, à ce niveau là on peut prendre ça comme un parti-pris du réalisateur, mais j'espère et attend des réactions sur ce sujet.
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