Stop! Visual Double Swing!
Si Whiplash m’a tant marqué, ma note en témoigne volontiers, ce n’est pas seulement grâce à cette histoire de combat, de travail, de persévérance, mais bien parce que c’est une prouesse filmique rare et un excellent moment de cinéma.
On ne le répétera jamais assez, Terence Fletcher (magistralement composé par Jonathan K. Simmons) est parfait. « Neither rushing nor dragging », il incarne avec une justesse déconcertante ce professeur que nous avons certainement tous connu, si dur et exigeant qu’à force d’humiliations naît un Stockholm si sincère que même dans l’échec et le renoncement, seules subsistent la gratitude et une pensée tendre.
Le reste est selon moi anecdotique. Les acteurs secondaires sont corrects et crédibles (le Sergent Fletcher ne laissant comme Mentor que peu de place à son Ulysse) et la narration efficace, sans effets de manche, servant quelques retournements de situation, jusqu’au dernier : jouissif.
Tout cela ne justifiant en rien le précieux sésame, je vais essayer de m’exprimer clairement et sans barbarisme pour éclaircir l’attribution du noble décacifre.
De mémoire, je n’ai jamais vu un si bon film sur la musique. Si beaucoup ont su faire de très jolies choses à propos de musiciens, je ne suis pas certain que tous aient filmé et mis en scène des instruments de musique avec la sincérité et la candeur du néophyte Damien Chazelle. Lui-même musicien et batteur, il a réussi à porter un regard si doux sur ces objets qu’il donne l’impression de s’adresser aussi bien au percussionniste Jazzophile qu’au dernier adorateur de paganisme électronique.
L’image est sublime, les plans sont rares et pesés, la musique grandiose et on se délecte fébrilement de cette agonie où seul celui qui court le long du précipice peut espérer progresser. Jusqu’au dernier plan, jusqu’au dernier coup de caisse claire, on ne cesse de boire les scènes de musique, le pied serré dans l’étrier de la mesure et les yeux perdus dans le goulot béant des cuivres.
Sur ce point, j’ai très à cœur de citer l’excellent travail de Sharone Meir et de Tom Cross, ainsi que de tous leurs assistants, sans qui le film aurait pu être d’une grande tiédeur. Si l’orchestration d’un réalisateur est primordiale et si les acteurs sont la chair d’un film, il faut, comme dans un groupe de musique, rendre hommage au travail d’équipe qu’est le cinéma.
Nous étions quatre dans la salle à la fin du générique et personne n’a semblé curieux de connaitre l’identité du chef Op à l’origine des gros plans d’école sur la batterie et les saxs, des ambiances contrastées du studio, de la scène et de la rue, de l’acharnement à capter les vibrations des gouttes mélangées de sang et de sueur sur les cymbales, et encore moins le nom du premier monteur, responsable frénétique de toute la rythmique du film.
Whiplash est enfin et surtout un film sur la folie, cette douce folie qui pousse l’Homme à aimer l’art et à travailler jusque dans sa chair une chose intrinsèquement si futile que la musique ou le cinéma ; à renoncer au bien et à risquer le mieux.