Whiplash est un film de Damien Chazelle sur la relation entre un élève batteur de jazz et son mentor, dans une prestigieuse école des États-Unis. Initialement court métrage (faute de moyens) présenté au festival du film de Sundance en 2013, il part de l’expérience personnelle du cinéaste, lui-même ancien batteur. Explorant ses propres souvenirs et ses sensations plutôt douloureuses et tendues, il livre une vision qui pèche par manichéismes et clichés.


La relation professeur-élève poussée à l’extrême, basée sur le sadisme (dans une ambiance militaire à la Full Metal Jacket), trouve son écho jusqu’au suicide d’un ancien élève et à la mise à pied du prof. Elle est illustrée par des images de sueur et de sang qui peuvent au bas mot irriter n’importe quel musicien ; de même que la batterie n’est montrée que sous l’angle de la démonstration de force, de tension et d’endurance. Au passage, la bande-son pas très variée ne montre qu’un type de jazz bien particulier, celui du JALC (Jazz At Lincoln Center). Et pour en finir avec les points négatifs, il est assez regrettable qu’un ancien musicien véhicule lui-même les nombreux clichés de l’artiste-musicien torturé, tels qu’on peut les observer dans Shine de Scott Hicks ou La Pianiste de Michael Haneke…


En revanche, progressivement, se dégage une allégorie de l’enseignement. Ce film n’est certainement pas à prendre au premier degré. Une idée de transe et de transcendance se dégage de ces scènes répétées ; c’est l’histoire d’un rite initiatique.
Caméra dynamique, montage rythmique, photo léchée, servent un face-à-face haletant qui trouve son apothéose dans le chorus final, traité progressivement en plans resserrés jusqu’aux deux regards exprimant enfin une déférence mutuelle. Ce moment au cours duquel, pour emprunter un terme de psychologie, « le père est tué ».
Damien Chazelle, transcendant ses propres névroses, soulève une problématique intéressante sur l’enseignement. Travailler avec un « matériau humain » nécessite normalement des qualités humaines ou/et une formation permettant au minimum de ne pas blesser.
Avoir conscience qu’une seule phrase peut conditionner à vie un enfant, un adolescent, un élève, n’est malheureusement pas encore une qualité partagée par le plus grand nombre, et ce malgré la qualité et la variété des formations pédagogiques que l’on peut recevoir de nos jours.


De conséquences variables, ces relations prof-élève - qui s’échelonnent de la simple allégeance au harcèlement moral destructeur - peuvent être nuisibles si le pédagogue est un personnage charismatique, influent, comme c’est le cas dans le film. Ce besoin de reconnaissance et d’identification propre à l’adolescence est un terreau parfait pour fixer une relation toxique.


Enfin, s’il existe un sujet tabou dans l’enseignement, c’est bien celui de l’angoisse potentielle de l’enseignant vis-à-vis de son apprenant : la peur de se voir supplanté par la jeunesse. Cette angoisse larvée peut aboutir à des « infanticides » (au sens figuré) plus ou moins perceptibles. Lorsque ceux-ci ne sont pas clairement identifiables, ils sont extrêmement dangereux ; tandis qu’un comportement excessif pourra, si l’étudiant trouve les ressources nécessaires, fournir le tremplin pour la révolte - le fait de « tuer le père » -, ce que fait le protagoniste dans les dernières minutes du film : en revenant sur scène et en prenant les commandes, il conduit de force le pédagogue (celui qui, étymologiquement parlant, conduit l’élève), lequel finit par l’accompagner, dans un moment absolument jubilatoire.
C’est à ce moment que Chazelle livre la définition originelle du mot virtuosité dérivé de vertu ; en latin virtus : un mélange de force morale et de courage.

Lauriancor
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le 11 juil. 2019

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