Quelle propension exceptionnelle ont les réalisateurs de nos jours à faire des films sur la fin du monde ! Et pour cause, ce nouveau projet de Noah Baumbach semble constamment garder en ligne de mire l'idée d'un effondrement imminent de notre société, et base son fonctionnement sur une satire du milieu dans lequel nous évoluons. Mais au delà de ça, White Noise représente une comédie parmi les plus réussies sur un sujet comme celui-ci, et porte des réflexions pleines d'intérêt sur notre monde actuel.
Si la construction en tiroirs peut d'abord répugner le spectateur, elle rattrapera son manque de continuité et d'unité par des méditations si pertinentes qu'elles permettront au spectateur de trouver toute la philosophie qui manque bien souvent au cinéma moderne. Fait d'évènements placés presque aléatoirement au centre d'un projet où la logique d'un scénario ne semble absolument pas respectée, le film s'étale par moments sur des détails anecdotiques et bien souvent oubliables. Cependant, il s'attarde également sur le coeur de son propos, bien davantage nécessaire à la bonne compréhension du projet. Dans une époque où bouleversements en tous genres jalonnent notre quotidien, le film de Baumbach semble ici presque logique pour faire voir aux yeux du monde ce que personne ne souhaite aujourd'hui accepter.
Tout comme le fut Don't Look Up, White Noise représente une parfaite satire de la société dilettante dans laquelle nous évoluons tous, et à laquelle nous nous heurtons constamment, à l'image des dialogues des personnages au début du film ou d'un Adam Driver au milieu du camp de réfugiés. Ici, le nuage toxique et radioactif représente l'élément source de tous les maux et de tous les dires, comme le fut la météorite chez Adam Mackay. Un élément naturel pour certains, complètement artificiel pour d'autres, et qui a pour étrange faculté de corrompre l'entendement humain et ses capacités cognitives par la puissance des opinions qu'il semble constamment faire diverger. Il s'agit là d'un danger pour l'Homme. Une catastrophe dont il faut se protéger, de laquelle il est d'abord nécessaire de s'éloigner, et puis pas tant que cela au final. Il faut, pour se protéger, porter un masque, et finalement, est-ce réellement utile? Impossible ici de ne pas établir de parallèle avec la récente pandémie tant elle est explicitée si clairement par le scénario, et par l'usage de moyens si actuels pour corrompre la pensée collective...
La désinformation, annoncée si tôt par un fils au courant de tout en direct et par un collègue fasciné par Elvis, est ainsi centrale dans le projet. Un moyen pour le réalisateur de critiquer le modèle actuel des médias, davantage en recherche de rapidité dans l'information que de véracité, rendant parfois "obsolètes" des affirmations antérieures qui paraissaient pourtant si réelles. Si la gouvernance et les moyens de communication sont ici critiqués, on remarque une désinformation bien plus "publique", avec des acteurs étendus aux personnes en général, qui dans la singularité de leurs points de vue, redéfinissent sans cesse ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Dans ce cas, l'humain cherche à se protéger, et se réfugie aux côtés de celui qui semble le mieux s'y connaître, et admire celui qui en parle le mieux. Tout comme les élèves fascinés par les discours théâtraux de Jack, ou les habitants perdus convaincus par les explications d'Heinrich, il est habituel de voir la capacité humaine à se rapprocher d'une figure qui semble supérieure en temps de crise se confirmer (comme l'explique le personnage d'Adam Driver au début du film).
La société ainsi mise au premier plan et démontée brique par brique, reste le sujet central du film, dont les deux personnages principaux sont obsédés. La morale est ici vue d'avance, et la critique encore plus explicite. Tout le monde a peur de mourir, et, bien que l'on fasse tout pour repousser cette échéance dramatique, il faut pourtant s'y résoudre : l'Homme est mortel et le restera. Bien que cet élément, qui représente la chute et centralité du scénario soit ici montré trop clairement et jeté au spectateur en version livraison express, il possède néanmoins le mérite d'exister et de façonner le film et un happy ending malgré tout un peu banal. La mort plane sans cesse sur le film, et, même si l'on s'attendait à moins bâclé car le film semblait préparer à une chute symbolique qui relie tous les éléments entraperçus, on reste séduit par la pertinence du propos.
Malgré des qualités qu'on lui connaît, Baumbach ne semble pas exploiter complètement sa qualité derrière la caméra à la hauteur de ce qu'il nous avait montré dans Marriage Story. Un soin de la photographie et des décors certes, mais un clip de fin qui dit bien plus en originalité de mise en scène que tout le film a pu le faire. Dommage, connaissant la qualité d'un metteur en scène ayant déjà fait ses preuves auprès de tout Hollywood, et qui semble un peu coincé par le fond dans sa quête de mise en forme.
Côté acteurs, Adam Driver surprend encore et toujours dans des rôles qui se diversifient d'année en année, et Greta Gerwig se fait plaisir devant la caméra avant de repasser derrière pour son très attendu Barbie (présenté à Cannes??), prévu d'ici la fin de l'année dans nos salles sombres.
Déconstruit et non linéaire, un peu haché et enflammé, White Noise n'en perd pas ses qualités premières de revendications fortes, pertinentes et très actuelles, et exploite le genre de la comédie dramatique comme rarement on le fait de nos jours. Une totale réussite et un beau merdier qui ne manque pas de nous interroger sur l'évolution de notre bazar de monde...