Quand on parle aux gens de cinéma russe, ça les rebute en général immédiatement. Il est vrai que, sur le papier, ça n’a rien de glamour et ce cinéma a la réputation d’être assez froid, voire assez spécial. Pourtant, depuis quelques années, on voit fleurir des bobines plus accessibles de tous les genres. Alors, certes, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, il n’y a qu’à voir mes dernières tentatives plutôt infructueuses telles que Nightwatchmen, Vurdalaki ou Guardians. Mais il y a eu aussi à côté les très sympathiques Konvert, Résistance ou encore La Légende de Viy, qui me poussent à continuer mon exploration du cinéma russe à la recherche de films qui valent le détour. Avec Why Don’t You Just Die, j’en ai enfin vu un que j’ai trouvé vraiment bon. Comme quoi, mes efforts auront été récompensés.
Why Don’t You Just Die est le premier long métrage de Kirill Sokolov, jeune réalisateur de 30 balais qui s’était déjà fait remarquer grâce à quelques-uns de ses courts métrages. C’est un huis-clos à mi-chemin entre le western spaghettis, le cinéma gore, et les cartoons Tex Avery. Un western moderne déjanté dans un appartement en quelques sortes qui nous raconte l’histoire d’une petite frappe qui sonne à la porte d’un appartement dans le but de tuer à grand coups de marteau le père de sa petite amie. En effet, cette dernière aurait été violée par son père dans son enfance et elle lui demande de l’envoyer bouffer des pissenlits par la racine. Sauf que le papa en question est un flic très costaud et surtout très coriace. Tout ne va bien entendu pas se passer comme prévu, surtout lorsque viennent se mêler une mère soumise, un sac plein d’argent, un collègue flic dépressif, et tout un tas d’objets qui vont servir à fracasser des crânes.
Why Don’t You Just Die a fait sensation au PIFFF 2019, raflant l’œil d’Or du public et le Prix des lecteurs de Mad Movies et c’est mérité. Pour un premier film, on peut dire que Kirill Sokolov a mis les petits plats dans les grands et que le résultat est des plus marquants. Pourtant, selon ses dires, il a été très compliqué de trouver des producteurs car le film a été présenté comme une comédie, et à la lecture du synopsis, il n’était pas évident de s’en apercevoir. De plus, ce n’est clairement pas le genre de films qui semble courir les rues dans la production cinématographique de la Mère-Patrie. Mais le travail méticuleux du réalisateur, à savoir un storyboard ultra détaillé pour chacune des séquences (plus de 1500 dessins) allait permettre un tournage très rapide et donc moins couteux. Le film voit finalement le jour, et Kirill Sokolov invente donc en quelques sortes le « western gore d’appartement », tout en prenant soin de mettre en avant tous les travers d’une société russe pleine de tension, de violence, d’agressivité et de problèmes sociaux bien ancrés dans les têtes.
Why Don’t You Just Die est donc un huis-clos où vont défiler des personnages tous aussi excellents les uns que les autres, interprétés par des acteurs vraiment excellents. Celui qui tire son épingle du jeu est bien entendu Vitaliy Khaev (Salyut-7, Ragin) dans le rôle du père qu’on veut mort. Sorte de force de la nature, trapus, chauve, sans état d’âmes, au regard froid, le genre de mec qu’on n’a pas envie de chercher. Mais le reste du casting n’est pas en reste et tous ont quelque chose à apporter à cette histoire au demeurant simple, mais pourtant ô combien bien mise en scène. La mise en scène de Kirill Sokolov est très stylisée, mais dans le bon sens du terme. Entendez par là qu’elle sert bien le récit et les effets de style ne sont pas là juste pour l’amour de la blague. Il multiplie les trouvailles visuelles et va exploiter au maximum l’espace réduit de l’appartement dans lequel se déroule l’histoire. La photographie est très particulière, avec des couleurs très vertes et rouges, et va donner au film un visuel à la fois très froid et très chaud pour un résultat final très convaincant.
Et puis il y a donc cet affrontement entre ce père de famille et le petit ami de sa fille. D’abord psychologique, puis physique. Et là, c’est tout bonnement jouissif. Même si on regrettera au bout d’un moment l’aspect un peu répétitif de la chose, l’ultra violence et les nombreux effets (très) gores ont quelque chose d’extrêmement réjouissant grâce à leur côté cartoonesque. Les coups font mal, très mal, c’est extrêmement brutal et le film verse même parfois dans le cruel et le sadisme. Sauf que l’humour noir que Kirill Sokolov va injecter dans sa bobine l’empêche de tomber dans le gratuit sans intérêt. Et cette idée de venir y mêler tous les codes des westerns spaghettis (Musique morriconienne, gros plans sur les yeux pour faire monter la pression, …) vient rajouter un énorme plus. Why Don’t You Just Die a quelque chose de jubilatoire et Kirill Sokolov devient immédiatement un réalisateur à surveiller de près.
Sous couvert d’humour noir, Kirill Sokolov signe avec Why Don’t You Just Die un excellent divertissement. Maitrisé de bout en bout, inventif sur bien des aspects, surprenant dans ses rebondissements, c’est un film à voir pour tous les amoureux de cinéma déjanté.
Critique originale : ICI