Le film s'approchant de son terme, la petite angoisse. Pourvu que que son dénouement ne trahisse pas ce que ce faux polar était jusque là, avec un suspens inutile ou un final en face-à-face convenu et tiédasse. Parce qu'à force de rappeler qu'un bon film policier vaut d'abord par son contexte et sa localisation, on oublie souvent d'aller au bout du raisonnement: on peut le qualifier de parfait quand on se rend compte qu'on se fout un peu (voir complètement) de l'enquête.
En ce sens, un flash-back explicatif intervenant en fin de métrage est doublement jouissif: d'abord parce qu'il est superbement amené (une idée simple qui nous fait nous demander s'il n'y a pas eu une interversion de bobine en salle de projection, avant de se souvenir que tout ceci est désormais numérique), ensuite parce qu'il permet d'évacuer le facultatif: on comprend en quelques secondes qui et pourquoi, et on peut continuer à se focaliser sur l'essentiel.
Cet essentiel étant bien entendu le regard que Taylor Sheridan porte sur l'Amérique, scénario après scénario. Ce regard n'est pas tendre, et cache peu de travers de cette société malade. Les deux premières scènes introduisant Cory Lambert sont en ce sens limpides: on le découvre chasseur éliminant un couple de loups, avant de rejoindre son fils qu'il récupère pour le week-end, petit bout d'homme qui se jette dans ses bras chargé lui aussi d'un fusil. Rien qui ne puisse rendre cette cellule familiale sympathique aux yeux d'un européen éternellement médusé par ce culte du flingue stupéfiant et mortifère. Mais comme dans Comancheria, un regard complexe et ambivalent sera sans cesse de mise, sur les situations comme sur les personnages, ce qui contribue à rendre le film à de nombreux égards passionnant.
Car il ne suffit pas de dire que le froid ça pique et que la pauvreté c'est dur.
Sur ces deux aspects, le discours est double. Si les conditions climatiques sont terribles, on se souvient aussi que les Alpes, les Pyrénées ou d'autres coins haut perchés peuvent désormais combiner leur situation avec un certain bien-vivre. Ces conditions sont ici un personnage à part entière parce qu'elles frappent des populations affaiblies par un double abandon. L'abandon du gouvernement concernant les indiens parqués dans leurs réserves, et un abandon plus diffus, en forme d'oubli, pour les autres, travailleurs ou fonctionnaires éloignés depuis des générations du reste -actif- du pays (on nous le dit par exemple, le médecin légiste local, parvient à s'occuper).
Et si on ne s'attarde pas sur la personnalité du (ou des) meurtriers, c'est que finalement, l'important ne se niche pas dans un profil ou un mobile, mais se joue dans le contraste: c'est parce que des gars sont déboussolés par un isolement auquel ils ne sont pas foncièrement habitués que le pire arrive. Seuls ceux qui habitent ces contrées désolées depuis toujours, et en ce sens ont choisi de survivre sur place, peuvent garder d'une certaine manière, la tête froide.
Dernier point qui m'amusera toujours, on pourra remarquer que par l'éternelle magie du cinéma, un film inspirée de faits réels se déroulant dans le Wyoming aura été entièrement tournée… dans l'Utah.