J'avais déjà été époustoufflé par le magique Des trous dans la tête - un autre film sur la mémoire, l'enfance, la famille... complètement explosif. Chez Guy Maddin, l'auto-fiction atteint son paroxysme, avec une frontière entre la réalité (des faits biographiques) brouillés à des inventions louffoques.
Le réalisateur travaille la Mémoire (celle qu'on utilise pour se rappeler, mais aussi celle envers laquelle nous avons un devoir) comme matière première de ses films. Il s'agit d'une plongée dans les souvenirs de sa ville natale. Voilà l'alter-ego de Guy Maddin qui traverse Winnipeg en train, somnolant, narcoleptique - et en avançant il se remémore. Comme un long monologue intérieur, chaque image de la ville semble répercuter en lui des sensations, appeler d'autres images ; mais le personnage est endormi, et la réalité dont il se souvient est confondu avec ses rêves.
On aura rarement vu au cinéma aussi bien reproduit les procédés sensorielles à l'oeuvre quand un souvenir émerge en nous. Un va-et-vient incessant entre présent (le train) et passé (la ville, les moments d'enfance), intérieur (mental) et extérieur (la matière), la véracité et le mensonge, les prises de vue réelle, l'animation et les archives (et fausses archives), etc. Quel meilleur outil que le cinéma pour rendre compte de cette flexibilité cérébrale ? Les scènes n'ont de cesse de se superposer en un tourbillon de surimpressions, la voix-off du narrateur-réalisateur comme commentant au moment même où il se rappelle.
Et ainsi le film de poser la question du rapport à notre mémoire, de toute mémoire comme fiction interne, comme une histoire qu'on se raconte à nous-mêmes pour mieux s'expliquer. Et de la nécessité de préserver ces souvenirs intacts quand le temps en abîme les objets. La nostalgie effleure à mesure que le héros traverse Winnipeg, contant l'histoire de cette ville ouvrière qu'un tapis de neige et d'obscurité vient recouvrir six mois par ans.
Maddin pousse le dispositif à l'envie, mettant en scène la (re)mise-en-scène de moments marquants de son enfance (réels ou imaginaires ?) - comme s'il lui fallait revivre physiquement ses traumas maternels et familiaux pour métaphysiquement quitter cette ville - effaçant complètement la binarité documentaire/fiction. Freud aurait parlé de sublimation. Le noir et blanc, la reproduction d'un style type cinéma muet ou pellicule SUPER 8 viennent achever de faire de My Winnipeg un objet cinématographique unique, singulier, hallucinante et hypnotique.