Mature, peut-être même un peu trop
Il est vrai qu’Hunger Games ait lancé la carrière de Jennifer Lawrence aux yeux du grand public. Mais comme pour beaucoup de comédiens/comédiennes, la jeunette déjantée qu’elle est n’a pas commencé en jouant les Katniss Everdeen. Mais en étant au casting du reboot X-Men : le Commencement (First Class en VO). En attirant l’intention de Jodie Foster pour son film Le Complexe du Castor. Et puis surtout pour sa première nomination à l’Oscar de la Meilleure actrice, à seulement 17 ans, pour sa prestation dans Winter’s Bone. Film dont, justement, nous allons parler ici.
Alors attention, autant vous prévenir d’emblée : ne vous attendez pas à un film pour enfants et encore moins à un vulgaire teenage movie. Car ce n’est parce que le personnage central est une adolescente que le ton du long-métrage s’en retrouve directement adouci. Au contraire, Winter’s Bone fait preuve d’une maturité et d’une noirceur incontestables. Remarquez, le scénario (adapté du roman de Daniel Woodrell) n’est pas pour les plus jeunes, c’est le moins que l’on puisse dire : une fille de 17 ans devant veiller sur ses jeunes frère et sœur ainsi que sur sa mère, pendant que son père écope d’une peine de prison jusqu’à son retour. Mais tout va s’accélérer quand celui-ci ne va pas au tribunal et disparait dans la nature sans raison. Ree (c’est comme cela qu’elle se nomme) décide de passer par la famille et le réseau criminel de son paternel afin de le retrouver et de sauver de cette manière la maison (alors mise en vente) et donc ses proches.
Vous l’aurez compris : Winter’s Bone est le film idéal si vous voulez voir un ado vu tel un véritable adulte, qui se retrouve obligé de faire face aux difficultés et aux responsabilités qu’apportent la vie. En effet, à voir cette jeune Ree cuisiner, couper du bois, aller à droite à gauche, se soucier du confort de ses proches (au point de penser à s’engager dans l’armée pour gagner de l’argent), difficile de croire que c’est une jeune personne qui s’active sous nos yeux ! Il faut dire aussi que la prestation de Jennifer Lawrence y est pour beaucoup ! La comédienne arrivant à jouer avec une justesse hors normes, surpassant sans mal tous les jeunes comédiens de renommée qui sont passés avant elle (comme Kristen Stewart). Même, elle les écrase sans pitié ! Nominée à l’Oscar, seulement ? C’est vache de ne pas l’avoir déjà récompensée à l’époque (elle devra attendre Happiness Therapy pour se voir photographier avec la statuette dans les mains). Attention, les autres comédiens du film sont également excellents (John Hawkes, également nominé à l’Oscar), mais face à leur cadette, ils ne font littéralement pas le poids.
Surtout que Winter’s Bone n’est pas une quête embrun de maturité. C’est surtout le portrait d’une Amérique profonde comme il est fort rare de voir dépeint au cinéma. Hollywoodien en tout cas, où tout semble rose bonbon dans cet univers de stars (« ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », le happy end vomitif, l’histoire d’amour mielleuse, le héros tout beau tout gentil…). Ici, les premiers plans donnent irrémédiablement le ton : les décors s’annoncent assez poisseux (froid et humidité régnant en maîtres), l’atmosphère assez glaciale (l’ensemble reste dans les gris, que ce soient les maisons, les vêtements ou tout simplement le temps nuageux), la mise en scène faisant dans la sobriété pour mieux faire ressortir le naturel de cette histoire, manque de musique (sauf quelques passages où des figurants s’adonnent à de la country) qui renforcent ce climax lourd et ténébreux. Et tout cela donc pour nous montrer à quel point la famille n’est pas vraiment ce noyau si inviolable comme il est si fréquemment décrit. Que l’Amérique n’est pas cette puissance mondiale faisant face à la crise sans mal, avec quelques-uns de ces citoyens qui triment comme ce n’est pas permis, jusqu’à déboussoler totalement l’échelle sociale (l’amie de Ree, du même âge et pourtant déjà mariée, mère de famille et ayant sa propre maison ; réseau criminel qui sévit et qui ne fait pas de cadeau, même aux membres de la famille…).
Après, le problème que nous pouvons rencontrer avec Winter’s Bone, c’est son manque de rayons de Soleil. Son pessimisme très appuyé auquel peu de gens sont habitués. Malgré quelques détails scénaristiques (comme cet oncle qui réalise ici sa rédemption auprès de sa nièce), le film de Debra Granik donne le cafard, c’est un fait ! Mais quelque part, il lui manque cette petite puissance qui lui aurait permis de faire passer tout cela sans ennuyer le spectateur. Oui, ennuyer, mais un chouïa, hein ! Juste à cause de cette noirceur quasi opaque qui laisse perplexe et donne par moment l’impression que le récit s’étire un peu.
Peu importe, malgré ce défaut, Winter’s Bone est un film indépendant qui prouve à quel point ce genre de cinéma s’avère être bien plus intéressant à suivre qu’un blockbuster classique. Surtout s’il nous donne l’occasion d’avoir une mise en scène travaillée (donc un réalisateur ou une réalisatrice talentueux(se)) et une comédienne née ! Raisons pour lesquelles Winter’s Bone fait partie de ces films qui doivent être vus, au moins une fois dans sa vie !