Cette fameuse Palme D'or cannoise,objet de tous les fantasmes cinéphiles depuis son illustre récompense,tant décrié par les uns et tellement portée aux nu par les autres,méritait elle toute cette attention accrue?Jane Campion et son jury avaient ils pris la juste décision en consacrant Nuri Bilge Ceylan comme l'ultime cinéaste de cette édition?Chacun d'entre nous aura bien évidement son opinion sur la question et il sera difficile,pour ne pas dire impossible,de nous départager complétement.Il m'est personnellement avis de répondre par la négative,bien que n'ayant vu qu'une infime partie de la sélection.La splendeur tellurique japonaise ou l'élégiaque farce russe m’apparaissaient comme plus justifiables,eu égard à leurs nouvelles propositions formelles.Soit.Que reste il alors de cette variation toute "Festennienne"(du non du film de Thomas Vinterberg) du prodigue turc?

En premier lieu,un regard juste et sensible sur le sens de nos vies.S'érigeant en moraliste digne des plus Grands Anciens,il observe avec une belle hauteur de vue ses personnages se débattre dans une contradiction Humaine des plus difficiles.Aydin,cet ancien comédien(et non acteur,comme il le dit lui même,histoire d'honneur),tout à la gloire de son prestigieux passé dans le théâtre,s’échine péniblement à préserver cette noblesse d'esprit en éditant et écrivant des livres pour préserver une trace précieuse de sa grandeur.C'est,dit il,de son devoir de restituer la force indescriptible de l'art pour sublimer L'Existence.S'extraire de la masse,en tant qu'auteur,devient un Geste quasi Divin dont il s'acquitte avec une volonté consciencieuse,sur de lui.Générosité qui est pour lui preuve de don de soi,d'ouverture aux autres.Également rédacteur d'articles de presse et sur internet sur la foi et la religion,il recueille avec suffisance les louanges de ses lecteurs.Un tel narcissisme en devient presque suspect,mais cette autosuffisance est révélatrice de bien des craintes.Propriétaire d'un terrain vague qu'il rentabilise grâce des gens de peu,il verra ses certitudes s'écrouler peu à peu du fait d'un élément déclencheur primordial.

Gravite en vase clos,autour de lui,sa famille de sang et de cœur.Gérant d'un hôtel spacieux,il vit avec sa femme et sa sœur.Vacant le plus souvent à ses occupations artistiques,il délègue le plus gros du travail d’accueil et d'aménagement à son fidèle serviteur et à ses domestiques.Situation précurseur qui annonce déjà la servitude dont son entourage souffre avec la plus grande retenue.Délaissant de plus en plus son épouse,seule dans ses névroses et ses incertitudes,il ne prête guère beaucoup plus d'attention à sa fratrie.Sujets de discordes,ses discussions de plus en plus tendues avec les deux femmes racontent la vacuité ravageuse d'un homme incapable d'empathie pour ses semblables et pire que ca,une mainmise accablante sur ses "sujets". Persuadé du bienfondé de son intrusion,il accentue toujours plus la distance insinuée des relations.Tel L'Archange protecteur,il se proclame Roi de La Raison et avilisse de honte et d'effroi ses pauvres ères fragiles.Ce que ne manqueront pas de lui faire remarquer dans de longs et gracieux monologues les deux comparses.La réponse est courte mais cinglante:"N'est ce pas vous qui avez fait de moi ce dieux surhumain dont l'image vous rassuraient tellement que vous vous complaisiez avec délectation dedans,et qui en fin de compte vous aura tant déçues que vous me fassiez tomber de ce piédestal avec une si grande violence?". Homme de devoir,il aura subvenu matériellement aux besoins nécessaires sans jamais réussir a transformer cette droiture en sentiments profonds,quelle qu'ait été l'empathie ressentie envers elles.Ne pouvant nier l'évidence mais ne pouvant non plus nullement s'en satisfaire,la dulcinée est à l’orée d'un choix vital prépondérant pour sa survie.

La solitude,affaire des êtres vivants,est une des autres préoccupations de Ceylan.Elle est indissociable de tout groupe social se constituant dans le but d'appartenir à la Communauté de L'Humanité.La logique constructiviste qui fonde toute Société linéarise un parcours personnel pour le fondre dans une structure balisée ou la famille et l'argent deviennent des bases inévitables qu'il est ardu d'ignorer.Plus les membres de cette tribu tentent de se raccrocher à ce lien fraternel dans l'espoir d'un plus bel avenir,plus ils s'enfoncent dans un chemin de croix qui les condamne irrémédiablement.D’où le besoin permanent d’échapper à cette aliénation mentale en se menaçant d'adieux répétés et en vivant séparément dans le même lieux.Espérant tous être retenus contre leur gré pour ne pas avoir à faire face à ces choix douloureux,ils s'agrippent désespérément à un dernier espoir de retrouvailles.
Ce veuf,ami de longue date D'Aydin,maudit sa logique d'assimilation à ce parcours balisé,ayant perdu sa femme et sa fille.Sa détresse est proportionnelle à son attente inachevée.La soif de liberté,l'envie d'un retour à un état sauvage,tels que rêvés par le dramaturge,est pleinement caractérisée par sa rencontre avec l’ermite à moto, jeune aventurier à la recherche de soi,épicurien car libre de tout engagement.Mais c'est surtout ce cheval,symbole de l'animal fougueux et indomptable,qu'il veut dans dans un premier temps absolument capturer dans un esprit de domination.Posséder pour mieux régner,voila bien notre folle lubie.Le parallèle entre la captivité
de l'équidé et l’enfermement mental du vieil homme est finement emmené et son relâchement signifie la première prise de conscience d'un laisser-aller essentiel.

A travers ce portrait nuancé d'un créateur perdu dans ses remords,le réalisateur esquisse surement aussi son autoportrait.Lucide sur le statut sacralisé de son rôle,il ne s'épargne aucune bassesse et n'hésite pas à remettre en cause son travail.Autoritaire et méprisant,sa culture n'est qu'un cache misère contre ce qu'il perçoit de la vacuité du monde qui l'entoure.Autrefois force motrice et fil conducteur de sa vie,il a dévoyée celle-ci par trop d'aigreur rentrée à cause d'un déclin inévitable.Le fait qu'il ait décidé de dédicacer ce prix à la jeunesse de son pays lors de la remise du prix montre que son cinéma n'est et ne sera jamais commercial,donc peu enclin a rameuter la foule pour ses films.D’où un léger ressentiment envers ce qu'il considère comme une injustice pour cette confidentialité,et un moyen de ne pas se laisser embarquer dedans avec ce film mise en garde,histoire de se prémunir de ces ressentiments.Les Steppes majestueuses D’Anatolie Centrale désertes,la neige abondante et la rigueur des cadres établis sont autant de réponses à l'écrasante culpabilité que trainent avec eux les archétypes solitaires du metteur en scène et résonnent en parfaite adéquation avec sa belle maitrise.Les acteurs,pas en reste,apportent le charisme et la sensibilité à la réussite de l'ensemble.

Pourtant,à sa décharge,une longueur quelque peu harassante qui n'évite pas une certaine redite alors que les plans précédents étaient assez explicites pour ne pas avoir besoin de revenir sur certains principes moraux.Une conceptualisation trop théâtrale dans sa direction qui plombe l'enjeu narratif et perd plusieurs fois en route ses spectateurs,pour ne pas toujours les retrouver avec le même aplomb.Une musique envoutante mais trop systématique dès lors qu'il s'agit d'amorcer un virage dramatique.Ces quelques défauts de fabrications,minimes,altèrent malgrès tout l'ampleur du résultat final et gâchent la sensation d'admiration que l'on pourrait avoir sans la gabegie.Un 7/10 très orangé qui ne passera pas le cap supérieur pour ces raisons la.

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le 14 oct. 2014

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