Un film qui porte bien son nom...
Il n’y avait qu’une seule et unique projection de Winter Sleep du réalisateur Turque, Buri Bilge Ceylan. Dans ma tête, ça créait l’évenement, c’était le truc à voir maintenant ou jamais. Nulle surprise de découvrir la salle pleine à craquer, surprise par contre du nombre incalculable de Mamies Cannoises aux invitations trouvées on-veut-pas-savoir-comment. En deux minutes je suis assaillie du genre, prise en sandwich au beau milieu du Palais des Festivals.
Coincée, je me délecte très vite des conversations de ma rangée. Personne ne sait visiblement où il se trouve, c’est à dire bientôt face au plus long film de la sélection et qui plus est de monsieur Buri Bilge Ceylan, dont les mauvaises langues diraient qu’il porte bien son nom…
Quelques minutes avant le lancement du film, ma voisine de droite me lance sous le ton de la confidence qu’hier soir elle a eu l’immense honneur de saluer le cinéaste et sa femme sur la Croisette, profitant de l’heureux hasard pour le féliciter de toute sa carrière. Ce sera cette même voisine qui au bout de précisement 3 minutes et demie de film tombera la tête la première dans un sommeil visiblement très agréable, puisque conduit jusqu’à la fin du film. Elle qui pourtant s’enthousiasmait de l’angle de sa place, mathématiquement parfait selon ses dires pour une totale perception de « l’ambiance », me chuchotait-elle…
Petit résumé, volé sur la brochure du film pour commencer : « Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s’est éloigné sentimentalement, et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements… »
Si Il était une fois en Anatolie m’avait séduit par une mise en scène là aussi lancinante, le film était défendable pour la richesse sensorielle de son environnement dépaysant. Les plaines, le vent, la terre, autant d’éléments naturels valorisés, nouant un puissant contact entre l’écran et la salle.
Fort de ce talent pour une image et une bande-sonore poussées dans ses retranchements sensoriels, Winter Sleep s’enlise pourtant dans une mollesse que l’on imagine (et voilà le drame) tout à fait intentionnel de la part de Ceylan. Son sens du découpage – impressionnant d’ordinaire – s’efface au profit d’interminables blablas existentialistes et moroses. Chaises, canapés, fauteuils et autres meubles de maison confortables à de longues discussions nous angoissent désormais autant qu’un claquement de porte dans un film d’horreur. Est-ce possible d’avoir tant à dire sans jamais rien raconter ?
Le dispositif s’enracine une bonne heure et demie durant, mettant l’œuvre dans une posture inattendue : inconsciente de ses longueurs et répétitions. Les admirateurs de Ceylan sont loin de la jubilation, et au commencement de la troisième heure, beaucoup s’apparentent maintenant à des guerilleros du sommeil.
Si ma rangée de copines Cannoises n’ont pas tenu le coup, je n’ai pas failli et me voilà enfin recompensé. Ayant épuisé toute les scènes de description de son personnage central, Ceylan s’occupe enfin de le confronter sévérement à son entourage. Si les dialogues persistent, il en émane une visée philosophique savamment suggérée. Les choses s’éclairent enfin et font renaître le couple central en de grandes figures tragiques dépossédées du monde. Le lien indéfectible de ces deux destinées contraires mais bel et bien emmêlées, le pouvoir et la dépendance exercé l’un sur l’autre questionnent l’essence de leurs actions. Si le coeur et la raison s’entrechoquent dans un fastidieux et inarrêtable combat oral, la caméra privilégie la force du non-dit dans la composition de cadres révélateurs de la vanité du langage.