Le Festin de Babel
Il faut commencer par chercher, longuement, à s’astreindre à un esprit de synthèse face au continent Winter Sleep. 3h16 de dialogues, la plupart en intérieurs nuit, ou lactés d’une lumière blafarde...
le 24 août 2014
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Il y a deux façons d’aborder SensCritique au cœur de cet été 2014.
Si on consulte les sorties du 6 août, la première option est de se jeter sur le dernier Besson avec tout ce que ça suppose de facile (1h30, la silhouette de Scarlett, le scénario -enfin, le prétexte-… 1700 notes et presque autant d’envies, 190 critiques au moment ou je tape ces lignes) et s’épancher sur l’aspect douteux attendu du produit. Ou, dans le cas d’un transport amoureux inopportun, procéder à un suicide médiatique de type Durendal (pour peu qu’on ait jamais pensé que le gentil mais inconséquent garçonnet ne fut à un moment ou à un autre en vie).
En prime, ce petit bonus: la possibilité de s’y jeter rempli de Mojitos, entouré d’amis ou de famille, et d’écrire ensuite une diatribe sur sa tablette (ou son smartphone) avec de la glace séchée sur les doigts en attendant le café et l’addition dans un restaurant à touristes, après avoir ingurgité un steak lithuanien tiède entre deux tomates en plastique et des frites qui n’ont de maison que celle dans laquelle se trouvait le congélateur.
C’est la version critique en tong.
La deuxième est évidemment plus exigeante.
WInter sleep, palme d’or, 3h15, une des parties les plus austères de la Turquie (nord de l’Anatolie) … 247 notes et 30 critiques. Pour contrer la possibilité d’une clim rigoureuse (car oui, on peut se situer dans une des rares régions chaudes et ensoleillée du territoire), s’engouffrer en doudoune dans une salle débordante de septuagénaires inféodés au culte FranceIntertélérama qui ne sont toujours pas parvenus à maitriser le mode silencieux de leur téléphone, presque 20 ans après la première apparition de ces derniers.
C’est la version critique en moon-boots.
La version de combat. Captaine Critique et le soldat de l’hiver.
Un soldat entrainé, qui plus-est: sortant très récemment d’un Tarr de 7h et d’un Kobayashi de 9h30, autant dire qu’un petit Ceylan de 3h15 le faisait presque rigoler.
Un homme, deux femmes, un hôtel qui s’enfonce dans l’hiver, les derniers clients qui partent les uns après les autres.
(…Non, je ne parle pas de Shining)
Le petit prodige du film est de dresser une série de portraits d’une justesse infinie, exclusivement à base de dialogues.
Centré sur les quelques jours (semaines ?) qui précèdent et accompagnent l’arrivée de l’hiver, nous ne cernons peu à peu les intimités de chacun qu’à travers leurs échanges. Ce procédé, s’il n’a rien de révolutionnaire, n’en reste pas moins extraordinaire quand il est utilisé avec une telle adresse, fruit d’une telle lucidité, et servie avec un tel talent d’écriture.
Il n’y a pas dix secondes dans ce film magnifiquement tendu qui puissent sembler inutiles ou fausses. Chaque scène contribue à notre édification et étale une nouvelle nuance dans le portrait que nous constituons mentalement de chacun.
Comme dans ces vidéos où nous voyons un peintre composer par petites touches un visage qui nous semblaient parfaitement indéchiffrables au début, Nuri Bilge Ceylan affine minute après minute la silhouette psychologique de ses protagonistes, qui gagnent au fur et à mesure en complexité ce qu’ils acquièrent en précision. Si le diable est dans les détails, la palette dont se sert Ceylan est définitivement démoniaque.
Ce glissement perpétuel dans la perception que nous avons de Mr Aydin, Nihal et Necla (mais aussi de tous ceux qui les entourent, jusqu’aux voisins villageois) permet de ne jamais savoir de qui nous nous sentons le plus proche. Impossible de ne pas se retrouver dans l’un où l’autre des habitants de ce trou magnifiquement perdu au bout du monde (surtout quand on évoque quelqu’un qui passe son temps à écrire paresseusement des textes destinés à une publication confidentielle), impossible de se sentir éloigné ou distant de ces gens pour qui nous ne pensions (de manière absurde, comme toujours) pouvoir partager le moindre point commun.
Nous ne cessons de donner raison au premier pour revenir ensuite sur notre jugement, nous identifier à la seconde puis subitement ne plus comprendre sa réaction dans la scène qui suit, avant de se souvenir que nous ne sommes finalement rien d'autre que la somme de nos contradictions.
Servi par une distribution prodigieuse, une photo capiteuse et une ambiance somptueuse, cette palme d’or est une fière représentante d’un titre parfois galvaudé, et si j’en juge par l’attitude pleinement concernée de mes deux accompagnateurs du soir, à qui je n’ai eu besoin de n’administrer aucun coup de coude dans les côtes pour empêcher un sommeil redouté, je sortais de la séance doublement comblé et heureux, puisqu’en plus du bonheur de ce film, j’avais évité la dernière production EuropaCorp.
Je parlais d’identification ? Elle pouvait se nicher jusque dans les dialogues les plus insignifiants du film.
Après notre repas post-séance, j’avais l’impression, fugace mais tenace, que mon ventre avait tendance lui aussi à s’émanciper.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Y a une baraque de fou, et le chef déco n'y est pour rien, Une palme d'or ? Boaf, ça vaut 6,7..., 'Now is the winter of our discount tent', Quote de porc: attention à l'indigestion et Résolution 2014: je me rase le torze, j’apprends le morze, j’évite les entorzes, et je fais un tour en Corze
Créée
le 13 août 2014
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