Wolfs
5.7
Wolfs

Film de Jon Watts (2024)

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Deux vieux loups de mer, d'Ocean's, pour dire vrai...

Deux vieux loups de mer, donc, sont confrontés à un flot de critiques négatives. Je viens à leur aide en ramant à contre courant. Attention ! Il y a des écueils dans la Mare Critica. L'un s'appelle le dénigrement. L’autre est la subjectivité. Au dessus du niveau de la mer on trouve l'argumentation. C'est notre balise. Au demeurant, je n'ai rien contre « J'aime ! », car il est agréable de céder aux Sirènes.

Débarquons la métaphore maritime, mettons pied à terre à New-York et partons à la chasse avec nos loups qui ne sont pas garous mais seraient plutôt des hyènes vu leur aptitude à nettoyer les scènes de crime.

Wolfs est un film de distraction : on ne va pas donc lui demander d'être un chef d’œuvre qui réévalue la condition humaine, ni une provocation dont vous sortez perturbé, et un manifeste esthétique éthéré ou baroque. Pourtant il a des qualités.

Wolfs a bon esprit. Il pratique une légère critique politique sans avancer une couleur partisane (la candidate au poste d'attorney général qui dissimule, par intérêt, un décès), Il n'évite pas le cliché de la mafia étrangère, ce qui pourrait être xénophobe ou raciste, mais il s'abstient de stigmatiser une communauté qu'il montre plutôt sympathique (avec une pittoresque fête familiale et un parrain débonnaire). Les femmes ? Sur un pied d'égalité avec les hommes, sans être badass ou soumises (elles ne sont ni pires ni meilleures mais ont plus de lucidité). A l'ancienne, la fin de Wolfs permet de tirer une "morale de l'histoire" : l'humanité et l'amitié l'emportent sur la loi de la jungle et le chacun pour soi. C'est consensuel, mais rappelons que nous sommes dans un film de distraction.

Wolfs est drôle d'un humour subtil. Certes les ressorts en sont anciens. D'une part la situation réjouissante, pour le témoin, d'un personnage qui se la pète mais qui avale des couleuvres (c'était un ressort essentiel dans la série 90ies Murphy Brown). D'autre part le duo comique popularisé par Laurel et Hardy, dans lequel un personnage "fort" doit s’accommoder d'un "faible" incontrôlable. Formule cent fois exploitée avant (le duo maître/serviteur) et depuis (Ne nous fâchons pas avec Ventura et Lefebvre). Mais Wolfs le fait finement. Non seulement chacun des deux protagonistes est le Boulet de l'autre, mais ils héritent tous deux d'un fardeau commun (le jeune homme au comportement éprouvant).

Wolfs est un film d'acteurs. Ils sont deux, avec un sacré passé référentiel (Ocean's etc), un charisme béton, un talent d’interprète indubitable (même si jouer à Hollywood est trop souvent devenu un art de la mimique que même Barbie, en animation, maîtrise à merveille - le Schpountz y ferait carrière) et un grande aptitude comique. Les autres acteurs ne sont pas mésestimés et ont leur moment de brio qui reste en mémoire (ainsi l'introduction avec l'attorney), mais l'essentiel est dans ce duo.

Wolfs sait que là est son propos : humour et comédie. Donc il assume de tout ramener à cela.

L'action ? Il y a deux scènes. L'une est une poursuite, l'autre une fusillade. Mais n'attendons pas Bullit et John Wick . Elles n'ont pour but que d'être drôles ou surprenantes. Non, le fuyard ne se tue pas en tombant. Non, vous ne verrez pas le massacre in progress. Tout est à contretemps. Wolfs nous fait sourire de l'action.

Le sexe ? Et bien il n'y en as pas. Un des protagonistes craint d'attraper une MST rien qu'à visiter un hôtel de passe et aucun des deux n'a, en fait, couché avec la toubib.

Le scénario ? Certes il y en a un et on aimerait le connaître mais à chaque fois que les protagonistes le révèlent, ils parlent en même temps si bien que l'on ne comprend rien. Wolfs nous fait sourire du scénario qui n'est que prétexte à la comédie. Je ne pense pas que le réalisateur mésestime le scénariste (ça, c'était pendant la Nouvelle Vague), je pense que le scénariste et le réal se moquent, en espérant la complicité du spectateur, des scénarios convenus.

Wolfs est bien réalisé (je vise là l'ensemble de la fabrication). Il y a deux genres de montage : celui qui se voit et celui qui ne se voit pas. Celui qui se voit proclame : "J'existe !, Moi aussi je suis un artiste !". Celui qui ne se voit pas est au service de l'action et de la narration. On peut élargir le raisonnement à la réalisation : elle est ici discrète, responsable, d'une totale efficacité au service du propos du film, c'est à dire le comique et le duo vedette. Mais esthétique. Il est difficile de faire la part entre direction et jeu d'acteur, de même qu'entre le réalisateur et le reste de l'équipe artistique, mais le résultat est là, pour tous. Les comportements des deux "loups" sont travaillés et contrastés. Les images sont excellentes, en particulier celles d'un New York nocturne sous la neige. Le lumières sont parfaitement dosées pour guider ou intéresser le regard du spectateur. Là aussi, il est difficile de faire la part entre le directeur de la photographie et les traitements numériques. Regardez ce plan où George Clooney sort de la voiture pour se rendre à l'hôtel. Une publicité lumineuse au second plan (ironique : « Great things to come »), un travelling qui suit Clooney sur la gauche sous les volutes de neige... Une silhouette au lointain sort une poubelle. Au retour ce sera un ouvrier qui fait de la soudure derrière une vitrine. On nourrit le travelling. La gestion des décors et des figurants est parfaite. La fête de mariage est d'une crédibilité immersive (quoique je n'ai jamais été invité à un mariage croate pour le vérifier). Lorsque le trio arrive, un serveur nettoie de la casse de vaisselle. Faut-il moquer ce savoir faire comme on le fit de la « Qualité française » dans les années 50 ?

A cause du duo d'acteurs, inévitablement vient la comparaison avec les Ocean's. D'abord il n'est pas très fair-play de comparer trois opus, qui ont eu le temps de corriger le tir et dont on peut faire la somme des qualités, avec un seul opus. Ensuite elle ne me semble pas toujours en défaveur de Wolfs.

Le premier Ocean's m'a semblé d'un rythme de promenade de santé, avec des images kitsch, des fondus enchaînés brouillasseux et des ressorts supposés impressionner le spectateurs. Ces ressorts se sont, depuis, ramollis : le bling-bling des casinos, un étalage de technologies rétrospectivement dignes du Minitel, les stars (lorsque apparaît la protagoniste, on s'émeut de sa beauté et on s'efforce de la souligner à l'image), une fin à la Mission impossible, époque feuilleton TV, en forme de tour de passe-passe.

Lorsque le second sort trois ans après, on dirait qu'une décennie s'est écoulée. Il est d'un rythme vif, le bling-bling l'a cédé au tourisme international, les images semblent tournées hier, le vedettariat est plaisanté (l’inénarrable scène où Tess, jouée par Julia Roberts, est supposée se faire passer pour... Julia Roberts) et la fin est ironique.

Certainement, le scénario de Wolfs a passé tout cela au tamis. Exit le bling-bling, l'international, les grandes équipes et les effets spéciaux voyants. On garde l'intrigue gangstérienne, le duo principal et la dérision. Diffusion TV oblige, la substantifique moelle au prix de l'économie ? Sous réserve du cachet des stars.

Vous êtes lassé de ce panégyrique ? Je l'assombris.

Il me trotte dans la tête une idée depuis quelques séances. C'est que le cinéma devient un art de seniors (je ne suis peut-être pas le premier à le remarquer). Ou, pour relativiser, qu'Hollywood conçoit certains films pour les seniors. Avec des lignes directrices. Des acteurs dans la tranche d'âge, bien sûr. Un traitement spécifique des plus jeunes auquel ces derniers peineraient à s'identifier (ici le boulet bavard). Des références datées si bien qu'il faut de la bouteille pour les apprécier (ici les Ocean's, Just the two of us, Smooth operator), Enfin, un cinéma confortable car, en vieillissant, on est sensible au confort (genre "Avec Geox, mes pieds respirent"). Ainsi lorsque un protagoniste dit au conducteur "Tourne à gauche !", on a un petit plan sur l'aile gauche avec le clignotant. Et...

Un paragraphe sur le traitement de la sexualité des seniors. Nous ne sommes plus dans les années 60/70, lorsque le mâle dominant, au sommet de son expérience, quoique taraudé par un mal existentiel qui lui donne une contenance, était supposé exercer une attirance magnétique sur la débutante (Le dernier tango à Paris, Profession reporter). En fait, on sait maintenant de quoi il s'agit. Mais rien n'empêcherait de prêter à notre duo une sexualité plus équilibrée.

Dans Marlowe, le grand aîné Liam Neeson dit à la toujours hormonalement sémillante Diane Kruger que "faire l'amour serait une très mauvaise idée". Encore cela suppose-t-il qu'elle en a envie. Plus tard, il aggrave son cas en précisant qu'il est « un piètre amant ». Qu'est-ce à dire ? Ce modeste cahier « décharge » fait-il que nos loups ne jouissent pas du Repos du guerrier ? Wolfs ne va pas jusque là et préfère ironiser : les vieux loups restent solitaires car on a pas envie d'eux : la toubib ne coucherait avec ni l'un, ni l'autre !

Une autre idée reçue est la complicité. Le duo joue la mise en place d'une amitié et ils serait amis dans la vie. Il devient difficile de distinguer la complicité réelle de la complicité jouée et la première est supposée valoriser la seconde. Il s'ensuit une impression de réel qui transcende la fiction et infatuerait le spectateur qui l'identifie (ou le croît).

Mais ce ressort ne risque-t-il pas de s'user s'il est utilisé volontairement par les productions ? Il rappelle les « faux rires » au théâtre de boulevard. Un acteur fait un gag imprévu et ses collègues en oublient leur rôle pour se livrer au rire. Impression de réel. Donc les spectateurs, victimes du rire communicatif, rient, du gag et de la situation. Mais le gag n'est-il pas prévu et les collègues ne font-ils pas semblant de rire ?

Pour conclure cette exégèse, que reprocher à Wolfs , le ronron du confort, une absence de provocation, de grain de folie ? Pourtant Wolfs croit avoir mérité de l'effronterie avec sa dérision des personnages, de l'action, du scénario et du vedettariat. Peut-être cela est-il trop pince sans rire et ne perturbe donc pas assez le rythme de sénateur de nos deux stars ?

Mais penchons-nous sur le climax et l'épilogue qui illustrent les méthodes de Wolfs. Le premier est adapté au projet. D'une part une scène d'action qui tombe humoristiquement à plat : notre duo menacé l'emporte pendant que l'adversaire recharge, d'autre part un massacre a lieu hors champ et ne rassure pas nos protagonistes (j'ai pensé à la sanglante découverte du penthouse par les deux héros dans The nice guys). Enfin un climax en forme d'implosion car nos héros renoncent au meurtre. Cette suite de non-climaxs confirme la dérision des clichés .

L'épilogue a lieu dans un snack (comme elle se conclut violemment, j'ai rétroactivement pensé à Bloody milkshake, dans lequel ce lieu iconique accueille le énième climax). Avant des explications confuses censées éclairer le spectateur, confirmation de la dérision du scénario, nos loups solitaires scellent mutiquement leur amitié, prétexte à un jeu sophistiqué de mimiques soulignées par des gros plans, confirmation que c'est un film d'acteurs.

L’œil avait repéré des passants au lointain, de l'autre côté de la fenêtre. Savoir faire relou de l'assistant réal ou préparation ? Préparation : ce sont les méchants qui vont attaquer. Lorsque notre duo se lève, les armes à la main, on coupe et envoie le générique fin, après avoir subrepticement introduit, en 3 secondes d'audio split, les premières mesures de Just the two of us. Rétrospectivement, je me suis amusé à penser qu'ils auraient pu envoyer Raindrops keep fallin' on my head de Bacharach. Même ellipse. Mais la différence avec Butch Cassidy et le Kid est qu'ici la question est "si on s'en sort". Alors que pour le film de 69, on sait, historiquement, qu'ils y ont laissé leur peau. La porte est ouverte pour Wolfs 2.


Le-Male-Voyant
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il y a 3 heures

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Le Mâle Voyant

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