[L'article sur le blog]


Régulièrement, on croise des films prometteurs affirmant que oui, ce qu’ils nous proposent est une avancée majeure, et qu’on serait bien difficiles d’en demander plus. Sans sonder les tréfonds du genre, Wonder Woman est un échec d’autant plus frustrant qu’il pèche par prudence. Un besoin de confort qui n’aurait pas été gênant s’il ne révélait une écriture inconséquente dont le protagoniste peine à sortir la tête haute…


Les efforts de la campagne marketing ont logiquement mis l’accent sur Wonder Woman elle-même plus que sur ses acolytes, tandis que les retours positifs de gens du milieu très favorables aux personnages féminins forts (Jessica Chastain mais aussi Joss Whedon, le papa de Buffy, et plus récemment Céline Sciamma en France) ont suffi a donner des ailes au long-métrage. Le dernier DC n’en est pas moins timoré, même s’il est vrai que sa seule existence au XXIe siècle fait plaisir parmi tous les Thor (une trilogie, déjà), Iron Man (une trilogie, déjà), Batman (une trilogie, déjà), Spider-Man (une trilogie voire deux, déjà), Captain America (une trilogie, déjà) et autres Wolverine (une trilogie, déjà, ou en tous cas trois aventures solo). C’est un fait, les héroïnes ne sont pas la priorité du choc des titans qui oppose DC et Marvel depuis quinze ans, et bonne chance aux téméraires qui prendraient Elektra et Catwoman en contre-argument – encore que le nanar de Pitof soit expérimental par bien des aspects !


Oubliée ou sous-traitée, la super-héroïne ne laisse aux fans qu’une seule option : lire entre les lignes. Pour en trouver, il faut se tourner vers des personnages secondaires, comme la Hit-Girl de Kick-Ass (intelligemment mise en avant par la scénariste Jane Goldman), la Veuve Noire des Avengers (certes en retrait mais au moins active, Joss Whedon oblige) ou encore Catwoman version Michelle Pfeiffer. Pas de doute, Wonder Woman met un terme à cette frustration, à l’intention tout du moins. Car en termes de distribution, le plus gros mystère demeure la place occupée par Patty Jenkins. Qui ça ? La réalisatrice. Son nom n’apparaît pas sur les affiches, encore moins au milieu des bandes annonces. Certes, elle n’avait pas tourné de long-métrage depuis 14 ans, et pas facile de vendre un blockbuster familial avec l’accroche «Par la réalisatrice de Monster», drame white trash porté par une Charlize Theron enlaidie. De toute manière, ce n’était pas un film Warner, et on met rarement en avant les produits du concurrent pour vendre le sien.


Pour preuve, la bande-annonce du premier 300 ne citait pas L’Armée des morts, sélectionné à Cannes mais tourné et distribué par d’autres firmes, ni le nom de Zack Snyder, préférant miser sur celui du créateur de la BD originale, Frank Miller – histoire de capitaliser sur le succès de Sin City, autre adaptation de son travail sortie deux ans plus tôt. Pas trop grave, tant 300 assume de bout en bout son discours viril, malgré l’ajout d’un personnage féminin quasi absent de la BD. Traduction : ce film-ci ne revendiquait pas d’idées progressistes et s’inscrivait, au fond, dans la veine pépère du film d’action guidé par un mâle alpha hétéro et héroïque (ou hétéroïque, c’est cadeau, longue vie aux néologismes). Dans le cas de Wonder Woman, qui claironne ses intentions de replacer la femme au centre de l’échiquier, il n’est pas interdit de s’interroger sur la place de la femme, justement, dans le traditionnel cirque promo propre aux grosses machines.


«Déesse. Guerrière. Légende». La tagline est directe, sans surprise et limite sommaire, un peu comme si on lisait «Naissance. Foi. Doute.» sur celle de The Tree of Life ! Mais le problème n’est pas là. Contrairement aux affiches de la trilogie Dark Knight, où étaient cités une bonne partie du casting et le nom de Christopher Nolan, pas le moindre patronyme de comédien sur celle de Wonder Woman, y compris celui de l’héroïne Gal Gadot. Pour les trouver, il faut se pencher sur la fiche technique en petits caractères, et la réalisatrice Patty Jenkins est logée à la même enseigne. Pas la peine de s’indigner pour si peu ? Admettons. En revanche, on peut regretter que le studio n’ait pas saisi l’occasion pour incarner jusqu’au bout ce qu’il prétend défendre, et ainsi mettre en avant que Wonder Woman, davantage qu’un rare exemple de super-héroïne au cinéma, est surtout le seul film de cette vague à être réalisé par une femme. Enfin, presque le seul, mais avez-vous vraiment envie de reparler du DTV Punisher : War Zone de Lexi Alexander ?


Dans ce contexte qui semble noyer le poisson, doit-on s’étonner que le personnage-titre, à l’écran, n’ait pas droit a sa double identité ? Lorsque s’achève le joli générique final animé, on peut lire que Gal Gadot tient le rôle de Diana. Soit Diana Prince, patronyme de Wonder Woman à la ville et référence à Diane chasseresse, soeur jumelle d’Apollon. Soit une créature exclusivement imaginaire. Paradoxal, après deux heures quinze où la réalisatrice a joué la carte de l’uchronie, en traitant le personnage comme s’il avait réellement participé au conflit de 14-18 ! D’ailleurs, sa première bonne action d’envergure se fait sur un champ de bataille, no man’s land et tranchées à l’appui. M’enfin, à quoi bon assumer que la belle brune est une authentique super-héroïne ? Après tout, dans The Dark Knight Rises, même Anne Hathaway n’était jamais appelée Catwoman, ce qu’elle était pourtant. On va pas changer les bonnes habitudes, il suffit de clamer qu’on a enfin osé faire un film de super-héros au féminin. Ben voyons…


Là où le bat blesse, c’est que si on peut en vouloir à la promo d’avoir collé au film une tagline creuse et mis en retrait les artistes en charge du projet, les défauts du film lui-même sont clairement imputables à Patty Jenkins, également scénariste. Et là, difficile de ne pas tirer la gueule. Car de wonder, la woman du titre n’a que l’apparence et le costume. On le sait, une origin story réussie repose sur un gros travail de caractérisation vis-à-vis de l’environnement du protagoniste : Peter Parker peine à s’intégrer, Dave se pose des question sur sa passion pour les comics, Superman s’interroge sur sa place dans le monde des humains, etc. Fort logiquement, on s’attendait à ce que Patty Jenkins et Gal Gadot prennent le taureau par les cornes et que, d’une femme à l’autre, elle tablent sur une caractérisation offensive, qui impose le personnage sans demi-mesure.


De même, Jenkins n’avait aucune obligation de faire des révérences aux collègues mâles de son héroïne, si ce n’est par la présence (discrète) de Wayne Enterprise. Or, entre son bouclier fétiche et son rôle décisif dans une guerre où elle affronte le camp allemand, Wonder Woman évoque ici, malgré elle, une version féminine de Captain America, ce qui est quand même un comble ! Que l’on trouve ce personnage Marvel ridicule ou sympathique, il a au moins bénéficié d’un film introductif plutôt correct en 2011, où Joe Johnston jonglait avec le contenu propagandiste obligatoire du Captain, en plus de jouer à fond la carte de l’imagerie rétrofuturiste. Pourquoi diable Patty Jenkins et Gal Gadot ont-elle choisi de présenter leur héroïne en lui faisant prendre tous les quarts d’heure un air crédule de parfaite ingénue (une guerrière affranchie qui s'extasie sur le premier bébé qu'elle croise, sérieusement ?), ou, à l’inverse, lui avoir mis dans la bouche des répliques si caricaturales qu’elles dévitalisent sa portée féministe ?


La palme revenant au superbe «I am the man !» (si mes souvenirs sont bons), cousin du sentencieux «What I do is not up to you» entendu dans la bande-annonce. Tour à tour femen idéaliste et petite fille paumée, Wonder Woman n’est définie que par ces deux extrêmes durant les trois quarts du film. Le charisme du personnage et son statut d’outsider dans le paysage culturel en prennent un méchant coup, a fortiori quand elle se retrouve à clamer en voix off qu’elle se bat «pour l’amour». Une fois abandonné l’espoir d’admirer l’essence du personnage s’épanouir sur la toile, reste à profiter du spectacle, et malheureusement, c’est là que le film révèle ses pires faiblesses. Qualité notable, Wonder Woman est un film très coloré, loin des délires désaturés de Zack Snyder auquel Patty Jenkins emprunte sans inspiration les ralentis parfois poussifs de sa première partie de carrière, heureusement rehaussés de cadres plutôt amples.


Pas honteux niveau mise en scène (cf. la rixe dans une petite rue étroite, judicieusement cadrée de haut), le film se ramasse néanmoins à cause de son script, et cette fois en termes purement structurels. Alors adolescente, Diana est entraînée en secret par sa tante, persuadée que le génocidaire Arès refera un jour surface. La mère de Diana les surprend en pleine passe d’armes et adresse une réprimande sans équivoque à sa soeur. Voilà qui promet un stimulant conflit familial. Et bim, deux plans plus tard, la même génitrice exhorte sa soeur à entraîner Diana deux fois, cinq fois, dix fois plus dur que ses précédentes disciples ! Nous sommes au premier quart d’heure que l’écriture fait déjà la girouette et bazarde sa problématique. Cette absurdité ne tarde pas à trouver un écho lors du débarquement où, après qu’une cinquantaine de soldats allemands aient traversé la brume, tous ceux restés en arrière ne cherchent pas à leur porter secours et disparaissent du film comme par magie.


On va encore dire que c’est chercher la petite bête, mais non, c’est le b.a.-ba du blockbuster : faire entrer des personnages dans un récit, et savoir quoi en faire. Du coup, on n’est même plus surpris lorsque Chris Pine annonce tranquillement à sa secrétaire (un cliché ambulant de petite ronde à peine écrite si ce n’est pour servir de faire-valoir à la belle amazone, soit dit en passant) qu’elle va «diriger les opérations» ! Du pur forçage narratif histoire de montrer que tout le monde participe, mais ok, pourquoi pas. Sauf que là aussi, Patty Jenkins et Gal Gadot n’assument que dalle : la secrétaire, on lui passe un coup de fil vite fait pour qu’elle consulte une carte, et basta. Même pas une minute de présence effective, et of course, on ne la revoit plus du tout par la suite ! Elle a dû aller bruncher avec les officiers allemands sur le navire de guerre resté à la frontière de l’île…


[SPOILERS] Dommage car vu la facilité avec laquelle Chris Pine et Saïd Taghmaoui pénètrent un bâtiment officiel en faisant simplement les clowns, elle aurait pu les accompagner sur le terrain sans trop de risques. Soit, c’est juste un gag, mais un gag lourd et mal écrit. Ce qui semble motiver Patty Jenkins dans l’affaire, malgré l’écriture très binaire dont souffre son héroïne, c’est la mettre en valeur en tant que femme. On s’empresse donc de placer Diana en robe de soirée dans une réception, puis de lui faire détourner (malgré elle) l’attention de Chris Pine par sa seule beauté, avant de rejeter les avertissements de son collègue. Un passage artificiel, et il faut attendre la fin d’un climax très banal, rempli d’éclairs cheapos et de gros morceaux de béton, pour qu’une problématique se dessine enfin : «Dois-je tuer ou non le Doctor Poison ?». La question est posée brièvement mais esquisse en quelques regards un antagonisme féminin bien vu. C’est toujours ça de pris comparé au bad guy qui s’injecte un gaz énergisant avec la régularité d’un sportif sous Powerade, l’occasion d’un trucage sous cutané des plus disgracieux… [FIN DES SPOILERS]


Wonder Woman ne souffrait d’aucune origin story récente au cinéma, pas la moindre adaptation qui rende le public réticent ou méfiant comme avec Catwoman. DC et la société créé par Zack Snyder, Cruel And Unsual, avaient donc quartier libre. C’est la grande force potentielle et la plus grande faiblesse avérée de l’entreprise. Film timide, Wonder Woman n’a ni le charme pulp suranné d’un Captain America : First Avenger ni – pourquoi pas – la générosité suicidaire d’un Sucker Punch (certes pas une adaptation de BD, mais un film féminin gavé jusqu’à plus soif de poses comics).


Par dépit, il faut se raccrocher aux passages qui font sens pour réaliser l’ampleur de ce potentiel gâché : l’explication de sa lignée familiale à une fillette pendant qu’une peinture, véritable toile de Rembrandt animée, illustre les mots de la conteuse, puis un travelling circulaire à 360° autour d’une héroïne adulte qui scrute l’horizon, et enfin un mouvement de caméra qui suit la même héroïne plongeant depuis une falaise jusque dans l’océan, la caméra passant de l’univers terrestre à un environnement aquatique en un bref plan-séquence.


Faux film féministe mais pur effet d’annonce, Wonder Woman n’assume ni son héroïne néo-mythologique, ni le prétendu discours progressiste que Warner martèle tant bien que mal. Alors où trouver une super-héroïne digne de ce nom ces dernières années, avec son arsenal atypique, sa combativité sans faille, son charisme naturel et ses convictions propres ? On a bien une idée, mais il faudrait pour cela faire un tour dans le Wasteland de George Miller plutôt que chez les wonder women officielles, et détailler une fois de plus le travail de la monteuse Margaret Sixel, qui faisait progressivement passer Furiosa de second couteau à héroïne avec un grand H.


En ce qui concerne le dernier « vrai » film de super-héros au féminin made in DC, la pitance est franchement maigre, et le résultat ressemble à un script de sitcom plus ou moins aventureux égaré dans des décors trop grands pour lui. Quant au plan final méchamment kitsch, il nous fait regretter le très sobre «I had a date» qui clôturait (encore lui) le premier Captain America. Interdit au Liban et en Tunisie, Wonder Woman n’y gagne pas en intérêt, bien que ces réactions dénotent l’utilité du film en termes sociologiques – bizarrement, ces pays n’avaient pas fait tant d’histoires avec Batman v Superman, où apparaissait déjà Gal Gadot.


Triste, tant on était curieux de voir ce qu’allait donner ce personnage devant s’émanciper non pas du monde des hommes, mais d’une gynarchie (1), insulaire qui plus est. «They do not deserve you», explique-t-on a une Diana encore enfant. En effet, le monde ne mérite pas cette Wonder Woman. Les super-héroïnes, comme le public, ont droit à bien plus. Rendez-vous manqué. Encore un…


(1) Système politique, social et/ou familial majoritairement ou totalement contrôlé par des femmes.

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le 9 juin 2017

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Fritz_the_Cat

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