Depuis que Bryan Singer avait quitté le navire, la saga X-Men s'était enlisée dans une médiocrité malheureuse. La suite directe des deux premiers volets, L'Affrontement final, signée Brett Ratner, s'était présentée comme un film bancal et maladroit, tout juste sauvé par une paire de scènes fracassantes (le déchaînement du Phénix noir, le détournement du Golden Gate par Magneto), tandis que la préquelle X-Men Origins : Wolverine s'était littéralement vautrée dans une fange cinématographique digne des pires nanars d'action. Reprise en main par Bryan Singer en personne, au poste de scénariste, et par le cinéaste anglais Matthew Vaughn (ami de longue date de Guy Ritchie), à qui l'on doit les excellents Layer Cake, Stardust et Kick-Ass, la franchise reprend enfin du poil de la bête, en nous plongeant dans ses origines pour notre plus grand bonheur, avec un panache, une énergie dignes du mémorable Star Trek de J.J. Abrams.

Renouant avec les éléments fondamentaux de la saga, X-Men : Le Commencement reprend exactement là où démarrait le tout premier film de Bryan Singer, presque plan pour plan : le jeune Magneto séparé de ses parents par les nazis, dans un camp de la mort, où il fait une première démonstration, bien malgré lui, de son pouvoir sur le métal. La scène, d'abord familière, filmée en plongée, change alors de point de vue sans crier gare, grâce à un plan en contre-plongée révélant un nouveau personnage central : Sebastian Shaw, incarné par Kevin Bacon, véritable « créateur » maléfique de Magneto. La jeunesse douloureuse de ce dernier, se construit en contre-point à la jeunesse « dorée » de Charles Xavier, gamin surdoué et télépathe, livré à lui-même dans le gigantesque manoir qui deviendra plus tard sa fameuse académie de mutants. Le scénario du nouvel X-Men, c'est l'histoire de ces deux êtres solitaires dont les destins finiront par se croiser à travers une quête en apparence commune : faire accepter leur différence et celle de leurs confrères mutants. Une histoire simple, mais terriblement attachante, fascinante, voire bouleversante dans son humanité paradoxale. Épurée au maximum afin d'éviter toute digression inutile, l'intrigue s'attache presque uniquement à dépeindre les rapports d'abord amicaux, puis tragiquement hostiles, entre Xavier et Magneto, duo magnifique, incarné avec justesse et force par les épatants James McAvoy et Michael Fassbender. L'alchimie qui se dégage de leurs personnages éclate à chaque plan, sans pour autant occulter une formidable galerie de personnages secondaires : le terrifiant Sebastian Shaw, incarné par le toujours excellent Kevin Bacon, le précieux agent de la C.I.A. Moira MacTaggert (magnifique Rose Byrne), la glaçante Emma Frost (sensuelle January Jones) et toute une équipe de jeunes mutants sympathiques, de Havok à Darwin, en passant par The Beast, Banshee et Angel.

Mais le véritable pivot émotionnel et humain du film, malgré sa monstruosité physique, réside dans le personnage de Mystique, superbement interprété par la jeune Jennifer Lawrence, qui se voit offrir un rôle majeur dans l'évolution des rapports entre Xavier et Magneto : la soeur surprotégée et complexée qu'elle représente pour le premier va connaître un bouleversement existentiel en se rapprochant du deuxième, qui lui apprend peu à peu à s'assumer telle qu'elle est. On revient là à une question fondamentale, en phase avec les thématiques posées par X-Men, que les stupides Affrontement final et Wolverine avaient totalement éclipsée, à savoir celle de la différence, de l'acceptation ou du rejet de l'autre. Un questionnement légitime, très actuel, qui permet au film de trouver un ciment narratif puissant quand l'action finit par se poser, à travers une série de dialogues poignants, toujours très bien écrits et portés par le jeu constamment inspiré des acteurs. Le spectacle offert par Vaughn est un pur plaisir cinéphile de chaque instant, qui plus est pimenté par une impressionnante batterie de guest-stars, seconds couteaux fameux d'Hollywood ou d'ailleurs, la plupart rescapés des précédents métrages de Vaughn et de son compère Guy Ritchie : Michael Ironside (peau de vache devant l'éternel chez Paul Verhoeven), Rade Sherbedgia (l'inoubliable Boris le Hachoir de Snatch), Jason Flemyng (figure incontournable du cinéma de Vaughn et Ritchie), Glenn Morshower (l'inénarrable Aaron Pierce de 24 heures chrono), James Remar (désormais célèbre sous les traits de Harry Morgan, le père de Dexter, dans la série éponyme), ou encore Ray Wise (le cultissime Leland Palmer de la série Twin Peaks). On a même droit à une apparition de la plantureuse Rebecca Romijn-Stamos (la Mystique des premiers films) et un caméo mémorable de Hugh Jackman, qui reprend la veste en cuir, les griffes et les favoris de son personnage culte, le temps d'une réplique vacharde, jubilatoire.

S'il excelle dans la peinture de ses personnages, grâce à une direction d'acteurs impeccable, X-Men : Le Commencement se révèle également excitant dans sa mise en images, s'attachant à mettre en lumière les origines de la saga, sans jamais verser dans l'explication facile, ni le bavardage. On assiste en effet à un formidable film d'aventures à la reconstitution historique effarante, transcendé par des scènes d'action fracassantes, d'une beauté et d'une intensité à couper le souffle. Quand Magneto et ses compères se déchaînent, on n'est pas loin de l'orgasme audio-visuel. Trouvant une tonalité parfaitement équilibrée entre la légèreté et la gravité qui déchiraient les années 60 (libération des mœurs / crise des missiles de Cuba), ce nouvel opus, dirigé de main de maître par Matthew Vaughn, propose une vision uchronique de la Guerre froide, mêlant avec intelligence et amusement la fiction et l'Histoire. S'inscrivant dans une veine plus réaliste que ses prédécesseurs, le film s'affirme aussi comme le plus délirant, se jouant d'une époque et de ses tensions avec un œil malicieux. Nimbé d'une esthétique délicieusement rétro, cet X-Men se déguste comme un cocktail divertissant composé d'un florilège de genres, allant de l'action au film d'espionnage en passant par la science-fiction et la fresque guerrière. Servi par des effets spéciaux élégants qui n'étouffent ni l'intrigue, ni les personnages, c'est un vrai morceau de cinéma à l'ancienne, d'une incroyable densité graphique et narrative, couronné par un final déchirant, que nous propose Matthew Vaughn, venant ainsi à la fois redorer le blason d'une saga qui se mourrait, et rehausser le niveau d'une bien pauvre année cinématographique. Un réalisateur aussi doué, honnête et généreux que lui, mérite bien tout notre soutien de spectateurs et cinéphiles. Après les surprenants Stardust, Kick-Ass et X-Men : Le Commencement, on attend ses prochains projets avec impatience, en lui souhaitant de persévérer dans la belle voie qu'il a choisi d'arpenter. Quand les Anglais viennent sauver Hollywood avec autant de classe, on en redemande !

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le 8 juin 2011

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