Face à un sujet aussi délicat que l’intersexuation, la pente est glissante : certaines questions ne peuvent être évitées, d’autres effraient. Certains éléments fascinent, d’autres bouleversent les repères établis au point de susciter un rejet viscéral.
C’est là tout le parti pris de la cinéaste Lucia Puenzo, qui fait du regard d’autrui le moteur principal de son exploration.
Au centre de son récit, Alex, jeune fille en apparence, mais au genre indéterminé, et dont les parents ont refusé les opérations dès la naissance pour forcer sa féminité. Alors que la puberté fait son œuvre, c’est par un traitement qu’elle lutte contre l’apparition de ce qui fait d’elle un homme.
Reclus dans un coin tranquille d’Argentine pour éviter la foule, les parents se murent dans un silence qu’ils pensent dignes, sans que le spectateur puisse les en blâmer, tandis que les premiers émois de leur progéniture vont mettre le feu aux poudres.
Indexé sur les émois excessifs de l’adolescence, le parcours des personnages est ainsi fondé sur un débordement, l’impossibilité de contenir une situation qui échappe par nature à la normalité. L’intelligence de l’écriture est de faire avec cette violence et cette âpreté, admirablement rendues par le jeune Inés Efron.
Face à elle, les différents protagonistes n’ont que le silence et les yeux écarquillés pour répliques. Toute l’esthétique du film semble marquée par cet étonnement embarrassé, de ses longueurs à ses lacunes, jusqu’à sa photographie bleutée dans ce beau paysage côtier. La diversité des personnages secondaires occasionne des relais à la violence interne du personnage principal : de son agression par des adolescents de son âge, scène particulièrement éprouvante, à l’échange entre son potentiel petit ami et son père, d’une violence psychologique et verbale tout aussi ravageuse.
Darin, plus sobre que jamais, est sur la voie d’une quête différente : celle de l’acceptation et
la reconquête par son enfant d’une identité qu’il méconnaît. Cette voie vers la parole et l’échange, cet éveil à l’échange, à la fois la solution la plus simple et l’effort le plus grand, transcende de loin la question initiale pour raconter une nouvelle fois la difficulté d’être père, et celle de grandir en accord avec le monde.