Voici une petite critique qui ne porte pas sur l'intégralité du film, mais sur une scène à la toute fin du film. Spoilers donc!

Pourquoi Yannick pleure-t-il à la fin? Je crois que l’émotion apparente de Yannick à la fin du film peut être mise au compte de quelques raisons au moins.

Pour moi, l’extase finale du personnage infirme le jugement facile et irréfléchi qu’on porte parfois sur l’accessibilité universelle de la pratique artistique. Le lieu commun consiste à dire : « mais tout le monde est capable de ces gribouillis, mon neveu de trois ans pourrait faire du Basquiat ». L’accessibilité (au sens où tout le monde aurait les moyens de créer, mais aussi au sens où certaines œuvres consacrées qui existent déjà pourraient être rejointes et imitées, on pourrait y accéder nous-mêmes en quelque sorte) se charge d’une connotation dépréciative assez marquée. Quand Yannick dit qu’il pourrait, en dessinant trois fruits, faire de l’Art, il exprime justement ce lieu commun.

Puis Yannick écrit sa pièce, il la fait jouer, et moi, le spectateur, je réalise que l’accessibilité universelle de la pratique artistique est infiniment précieuse. Dieu merci ! tout le monde peut faire de l’art, parce que tout le monde peut produire quelque chose de touchant, fut-ce seulement pour soi, même cette espèce de mésadapté social que Quentin Dupieux a eu l’excellente idée de créer.

Cela dit, la scène où on le voit les larmes aux yeux, c’est à un autre de ses commentaires que je la rapporte ; celui sur la fonction de l’art comme divertissement. Ce commentaire n’est pas anodin. Après tout, l’élément déclencheur n’est-il pas provoqué par une dysfonction de l’art, par une prestation artistique qui ne parvient pas à accomplir ce but dont Yannick dit qu’il devrait être celui de la pièce ? Yannick intervient parce qu’il n’est pas diverti, parce que la pièce ne parvient pas à lui faire oublier ses problèmes. Et si « divertir » doit être compris dans son sens de distraire en procurant un passe-temps agréable, il doit surtout être entendu comme un détournement de l’attention sur un autre objet. Le personnage va au théâtre pour que la pièce détourne son attention vers ce qui n’est pas sa vie, mais surtout sur ce qui n’est pas la douleur de sa vie. Pour moi, les larmes de la fin donnent à lire une transformation du regard porté sur la fonction de l’art.

Alors que Yannick revendique un art qui soit un « baume pour le cœur », que finit-il par écrire ? Il crée une œuvre dans laquelle ce qu’il cherche à fuir est central. Le mal d’amour constitue le cœur de sa pièce. Le personnage goûte à la fin la douce amertume, l’espèce de voluptueuse douleur qui accompagne parfois l’appréciation esthétique, et il me semble évident qu’il est plus touché et satisfait par cette pièce qui le concerne au premier chef, même si elle lui est douloureuse, que par Le Cocu. Il y a une souffrance à laquelle on consent dans l’appréciation de certaines œuvres, une douleur qu’on aime, qu'on goûte et qui nous est rendue agréable par sa douceur.

Peut-être que ce que Yannick voulait sans le savoir, c’était une œuvre qui parle de lui. Pour autant, je ne crois pas que ce soit la réalisation de ce changement de regard sur l’art qui le fasse pleurer. Les raisons derrière ses larmes ne doivent pas être conscientisées aussi clairement, mais elles sont sûrement senties. Il pleure parce qu’il regarde une pièce qui le regarde en retour, qui lui dit : je te vois, tu existes. Le pur divertissement nous dissimule la douleur, mais pour appliquer le baume, il faut voir le cœur qui saigne.

Créée

le 27 févr. 2024

Critique lue 3.1K fois

1 j'aime

Critique lue 3.1K fois

1

D'autres avis sur Yannick

Yannick
Bdown6
3

Bien foiré

Ce film qui aurait dû me procurer le rire et la réflexion par son concept inhabituel, ne m'a procuré que l'ennui. Très déçu. Au fond, comme Yannick ( Raphaël Quenard ), sauf que lui craque et prend...

le 29 déc. 2023

94 j'aime

Yannick
Moizi
7

Mission Impossible aurait été plus divertissant

Je crois que le souci principal de Yannick c'est qu'il m'a été totalement survendu et que j'en attendais pas mal, faisant partie de ceux qui ont aimé les derniers Dupieux et qui ont adoré Raphaël...

le 14 août 2023

68 j'aime

5

Yannick
Plume231
7

Un spectateur en quête d'un bon divertissement !

Quentin Dupieux reprend un schéma qu'il avait déjà spécifiquement employé dans Le Daim, à savoir que c'est le trait de folie d'un personnage qui déclenche l'intrigue (et non pas un élément...

le 3 août 2023

61 j'aime

6