You Become a Star, Too est le troisième long-métrage de Lee Chang-ho, comme le souligne – non sans prétention – un carton d’introduction dès le générique. Ce film suit effectivement le succès retentissant de son Heavenly Homecoming to Stars et l'échec de son second opus, It Rained Yesterday, tous deux réalisés en 1974.
You Become a Star, Too apparaît comme un curieux objet cinématographique, difficile à cerner, sans logique apparente, que notre regard occidental pourrait aisément percevoir, au mieux, comme une pâle imitation de L'Exorciste de William Friedkin, sorti en 1973 et acclamé partout dans le monde, sauf en Asie. Pourtant, bien que ce film ne soit effectivement pas de grande qualité, il représente un excellent sujet d'étude, révélant de nombreuses facettes du cinéma – et même de la société – sud-coréenne de l'époque. Il témoigne aussi de l'ambition du collectif cinématographique L'Ère de l'Image de secouer un peu l'industrie, d'attirer un jeune public (nouveau) et de poser les bases de la Nouvelle Vague coréenne.
En 1975, au plus fort du régime militaire de Park Chung-hee, un collectif formé autour du critique Byun In-shik et des réalisateurs Ha Gil-jong, Lee Chang-ho, Kim Ho-sun, Lee Won-se et Hong Pa tente de faire du cinéma un moyen de résistance face à l'oppression politique et culturelle. Ils créent L'Ère de l'Image, un mouvement artistique collectif s'inspirant de multiples courants cinématographiques : le néo-réalisme italien, la Nouvelle Vague française, japonaise et allemande, le Free Cinema britannique et le Nouveau Cinéma américain. Ensemble, ils se lancent dans la production de films destinés aux jeunes adultes, visant à remettre en question les normes sociales établies.
Lee Chang-ho est au sommet de sa popularité après le succès inattendu de son premier long-métrage, Heavenly Homecoming to Stars (1974), qui devient le plus grand succès de l'histoire du cinéma coréen à sa sortie, attirant 465 000 spectateurs et donnant naissance à un véritable sous-genre érotique, les « films d'hôtesses de bars ». Le réalisateur enchaîne rapidement avec It Rained Yesterday (1974), une tentative de moderniser le mélodrame, genre phare de l’époque, en réunissant un casting à la mode et une bande-son particulièrement travaillée. Cependant, le film n’obtient pas le succès escompté à sa sortie.
Lee Chang-ho approfondit sa réflexion au sein du collectif L'Ère de l'Image sur la manière de séduire un public plus jeune avec des œuvres inédites. Inspiré par le succès mondial de L'Exorciste (William Friedkin, 1973) – un film invisible au cinéma en Corée du Sud jusqu’en 2001 –, il décide de n’en retenir que les scènes spectaculaires de possession et d’exorcisme d’une jeune fille. Cependant, il associe cet imaginaire à une figure de l’horreur typiquement coréenne, celle du Cheonyeo Gwisin : l’esprit d’une jeune femme revenant hanter les vivants. Il parsème également son film de plans et de séquences vaguement surréalistes, s’inscrivant dans la pure tradition de la Nouvelle Vague occidentale, tout en peignant en arrière-plan la société sud-coréenne de l’époque.
Dans You Become a Star, Too, l’intrigue débute par le gain d’un logement par une petite famille typiquement coréenne. À l’époque du tournage, des loteries permettaient aux Coréens de remporter des logements neufs, généralement des HLM construits pour promouvoir le développement immobilier et nourrir le rêve de nombreux citoyens d'accéder à ce type d’habitat. Les participants pouvaient ainsi espérer emménager grâce à leurs propres moyens ou par ces loteries, qui contribuaient elles-mêmes au financement des nouvelles constructions. Toutefois, ici, la famille gagne une villa située en périphérie de Séoul, un prix exceptionnel. La scène d’ouverture, avec l’exubérance de la famille qui fête son gain et son déménagement, peut sembler exagérée, mais elle revêt une signification profonde…
Peu de temps après leur installation dans leur nouvelle demeure, la petite fille du couple (jouée par Yoon Yoo-sun, future star des k-dramas, ici dans son tout premier rôle) commence à subir d'étranges phénomènes : elle entend des bruits inexplicables, aperçoit une main surgissant de sous son lit, puis se met à marcher au plafond. Parallèlement, le père de famille, retenu une nuit à Séoul à cause du couvre-feu imposé par le régime militaire de Park Chung-hee, croise le chemin d'une mystérieuse inconnue et finit par succomber à ses charmes...
Honnêtement, You Become a Star, Too n'est pas aisé à appréhender dès le premier visionnage : la narration se disperse, le film change de genre à chaque scène – passant du drame à l'horreur, puis à la comédie – et l'histoire, déjà confuse, est ponctuée de plans de coupe magnifiques mais énigmatiques. De nombreux éléments semblent aussi faire référence à la société coréenne de l'époque, sans pour autant offrir aux spectateurs occidentaux les repères nécessaires pour les saisir pleinement.
Il nous faut donc, une fois de plus, regarder au-delà des images.
Le gain de la maison à la loterie reflète déjà l'état de désarroi dans lequel se trouve une partie de la population sud-coréenne sous le régime militaire de Park Chung-hee, poussée à participer à des jeux de hasard pour espérer accéder à un logement de qualité. Cette situation traduit également le désir croissant de biens matériels et l'aspiration à une vie de luxe, ou du moins l'idéal d'un jour pouvoir s'offrir ce confort.
Le gain d’une villa n’est pas anodin : cette maison, construite « à l’occidentale », incarne le rêve d’une réussite et de possessions selon le modèle occidental, perçues comme le summum du chic à l’époque (merci l’occupant américain !). De telles villas existaient bel et bien : si les années 1960 avaient vu l’essor du fantasme du petit appartement HLM en centre-ville, la croissance démographique et la frénésie immobilière ont, au fil des années, conduit les familles aisées à se décentrer et à construire des maisons en périphérie. Ces villas sont ainsi devenues un symbole de réussite économique, un nouvel idéal pour les classes plus modestes.
À l'époque, les « campagnes » suscitaient autant de fascination que de crainte : elles étaient perçues comme des lieux mystérieux, potentiellement habités par des forces obscures, contrairement aux villes surpeuplées, considérées plus sûres. La villa devient ainsi la métaphore du rêve des protagonistes, un mirage de richesse qui corrompt leur véritable nature et dans lequel le mal s'infiltre, cherchant à détruire la cellule familiale par la possession de la jeune fille.
Les scènes de possession donneront ainsi lieu aux séquences les plus spectaculaires, directement inspirées de L'Exorciste américain, et serviront de fil conducteur pour dévoiler le mystère entourant les origines de ce mal.
Parallèlement, le père de famille entame une étrange liaison nocturne en ville. Cette relation découle de la « distance géographique » qui le sépare de sa famille, mais aussi de cette nouvelle vie de faux riches qu’il fantasme. Elle permet à Lee Chang-ho de brosser un tableau rapide de la Corée du Sud sous le régime militaire de Park Chung-hee, avec le couvre-feu imposé et la présence des forces militaires. Indirectement, le réalisateur souligne que la quête de richesse, tout comme le régime autoritaire, sont des facteurs qui contribuent à l’éclatement de la cellule familiale.
Sans en dévoiler davantage, cette liaison s’avérera finalement être la clé expliquant la possession de la petite fille. Elle permet à Lee Chang-ho de fusionner le genre typiquement coréen du Cheonyeo Gwisin avec l’horreur occidentale, créant un mélange unique. Il est d'ailleurs fascinant de noter les différences dans la représentation de la peur et de l’effroi entre ces deux styles distincts, offrant une profondeur culturelle au récit.
La révélation de l’identité de la mystérieuse jeune femme permet à Lee Chang-ho de faire glisser son film vers le genre phare du cinéma coréen de l’époque, qu'il avait lui-même contribué à populariser : le film d’hôtesses de bar. C'est sans doute la partie qui a le plus captivé Lee Chang-ho, et elle figure parmi les plus maîtrisées du film. Le réalisateur, en pleine possession de ses moyens, s’adresse directement à un public de jeunes adultes, offrant une représentation fidèle de leur génération, avec des scènes de fête, de musique, de danse et même de débauche.
You Become a Star, Too est loin d'être un film parfait, mais il dépasse de loin l’idée d’un simple ersatz de L'Exorciste. C'est une œuvre hybride, à l'image de son réalisateur, qui brûlait d'envie d'expérimenter, de bousculer un paysage politique et une industrie cinématographique figée. Lee Chang-ho explore les genres, puise dans des influences étrangères pour les adapter à des sensibilités profondément locales. Il égratigne subtilement le régime militaire sans franchir les limites de la censure, tout en livrant une représentation fascinante de son époque. Surtout, il crée un long-métrage pratiquement unique en son genre à l’époque. Une œuvre passionnante – du moins, à analyser !
(texte avec des bouts de mon livre Hallyuwood - Le Cinéma Coréen dedans et rerpis de ma page FaceBook éponyme).