Pour qu'un réalisateur soit en situation de nous raconter une histoire, il faut d'abord une...histoire. Pour qu'une histoire soit bonne, il faut qu'elle ait de solides fondations, une belle charpente, des murs à l'avenant et surtout un mur porteur bien étayé. Survient alors la danseuse de la fine équipe avec sa palette de crayons bien affûtés, sa petite gomme chirurgicale et son œil de lynx: la ou le scénariste. Baya Kasmi a revêtu la casquette de la réalisatrice et celle de la scénariste, la main dans la main avec son complice Michel Leclerc, pour notre bonheur, et le casting constitué pour porter l'ensemble est de premier choix.
Youssef Salem /Ramzy Bedia est un écrivain qui vient de commettre son premier roman. Non content de se voir seulement édité et de connaître un certain succès, le voilà propulsé vers le prestigieux prix Goncourt sous le regard sévère et énamouré de son vieux père qui a fait de la langue française, de sa précision sémantique, de son orthographe et de sa grammaire son cheval de bataille.
Omar Salem/ Abbès Zahman est fier de ce fils qui veille à toujours parsemer le moindre de ses écrits de belles fautes de français pour permettre à la graine d'académicien qui l'a conçu de donner toute la mesure de son propre talent. Ce premier roman est à ses yeux le galop d'essai de son fils avant l'écriture de la grande œuvre attendue qui ne peut que porter sur une biographie, la biographie, d'un grand héros algérien, le plus grand de tous aux yeux du père : Abdel Kader ibn Muhieddine, l'homme de la smala de nos vieux manuels scolaires d'Histoire.
Voilà pour ce qui est de l'histoire dont Baya Kasmi a fait son film. Le mur porteur est à première vue solide et la charpente solidement arrimée. Les finitions laissent cependant à désirer et il n'est pas certain que les travaux d'isolation soient à toute épreuve. Entre les coups de chaud et les coups de froid, il y a un peu de crainte pour les certifications.
Il y a toujours dans un roman, et bien davantage encore dans un premier, une part d'autobiographie et Le Choc Toxique de Youssef n'échappe pas à la règle en donnant des illustrations familiales qui donnent corps à une vieille légende algérienne qui veut que soit frappé par la foudre divine quiconque commettra le péché de chair en dehors des liens du mariage. Devant le succès du roman et surtout sa visibilité annoncée par le futur Goncourt, il est inévitable qu'il tombe entre les mains des membres de la famille. Passe encore le mécontentement des sœurs de l'auteur pour les petits secrets qu'il révèle, le courroux du frère boulanger dont on ne dit rien même pas que son pain est le meilleur, mais Omar et la mère Fatima/Tassadi Mandi doivent absolument être préservés.
Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi est une comédie de bon aloi, légère avec de jolis clins d'oeil. On n'y rit jamais mais on y sourit du début à la fin. Tout ce petit monde truculent nous réjouit et , pour ce qui me concerne, m'a mis de belle humeur.
Je conclurai par un petit aparté avec Omar sur le sens et la force de l'adjectif truculent. D'origine, le mot porte une idée de dureté et d'agressivité ; après lente et délicate décantation, sa portée brutale s'en trouve atténuée pour ne plus conserver que sa dimension haute en couleur presque pittoresque. Nous sommes presque tombés d'accord pour dire que Youssef Salem a du succès est un film qui veut illustrer la truculence.