Le lien entre l’auteur et ses proches a toujours été conflictuel : pour les nombreux écrivains transformant leur vécu en matériau, les souvenirs peuvent virer au règlement de compte. Et pour ceux qui publient, il faudra subir l’expérience de se voir exposé à ceux qui vous connaissent, ou croient vous connaître mieux que tous vos lecteurs.
Le nouveau film de Baya Kasmi, assistée à l’écriture par Michel Leclerc avec lequel elle collabore depuis toujours, fait donc de ce motif une comédie au cours de laquelle un auteur subitement sous les feux médiatiques va tenter de cacher à ses parents le déballage que contient son roman, autobiographie romancée et revancharde. De quoi offrir tous les motifs traditionnels du comique (jusqu’aux plus automatiques et dispensables, comme l’échange d’appartements et les dérives poussives de l’éditrice alcoolisée) et les situations de tension pour le protagoniste. Mais c’est surtout le portrait familial qui prime, notamment à la faveur d’une exposition interne au livre, très proche des thématiques de Philip Roth sur la jeunesse masturbatoire d’un adolescent et du dézingage généralisé de sa tribu qu’on comparera ensuite avec la réalité et les caricatures, arrangements ou déplacements opérés par l’auteur.
De la même manière que Roth interrogeait et malmenait son judaïsme, le film fait de l’identité son point central : Youssef est en rupture avec une tradition incarnée par ses parents, et dont la fratrie épouse plus ou moins les codes, entre le frère boulanger, la sœur secrètement lesbienne et la cadette revendicatrice d’une culture musulmane affirmée. Une interrogation qui reprend de très près celles formulées par Melha Bedia (sœur de Ramzy, qui joue ici… sa sœur) dans sa série Miskina, la pauvre, elle aussi souvent tendre et pertinente. Les personnages se résument certes à des fonctions, et la satire fonctionnera de la même manière dans le monde littéraire, où un plateau de chroniqueurs croquera sans volonté de subtilité les panels poussifs que nous propose la télévision, du gaucho au facho, en passant par la féministe woke.
Mais l’essentiel est ailleurs : Kasmi cherche surtout, après avoir entériné la rupture et fait de la fuite la motivation première de son personnage, à dessiner les possibles territoires de la réconciliation. Les scène clés, presque secondaires qui la composent seront les plus réussies, grâce à un casting impeccable qui sait autant gérer le bazar collectif qu’est la famille que les failles de chaque individu. Ainsi d’un échange silencieux entre frère autour du pétrissage du pain, d’une engueulade dantesque dans une voiture qui relève plus du folklore que du conflit, ou d’un déballage généralisé qui fait du fauteur de trouble un orchestrateur de la parole.
Quant aux questions épineuses de l’identité, de la religion, des traditions et de la peur du châtiment, rien de tel que le débat avec Vimala Pons qui assènera son argument choc en balançant son interlocuteur à l’eau avant de lui faire l’amour.