Inédit au cinéma en France, Yuki, conte sur l’oppression des plus faibles, est produit par la société Nikkatsu, fondée en 1912, tandis que son animation a été confiée au studio Mushi Production, emblématique créateur d’Astro Boy (1963), la première série animée nippone.
S’il s’agit de sa seule incursion dans le cinéma d’animation, Tadashi Imai inscrit pourtant son film dans un jeu de filiations plutôt flatteur : Yuki possède en effet des parentés évidentes avec Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa (1954) et avec Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki (1997). Son argument est en apparence simple. Les grands-parents de Yuki veillent sur la terre depuis le ciel. À ses 13 ans, ils décident d’envoyer leur petite-fille pour apaiser un village rendu au dernier degré de la violence. L’adolescente a un an pour mener à bien sa mission, sans quoi elle se transformera en un vent hurlant…
C’est l’occasion pour le maître de l’humanisme social japonais de portraiturer le Japon des XVe et XVIe siècles. Cette jeune divinité descendue sur terre doit lutter contre « un monde de corruption et de violence » et en « éliminer les méchants ». Le Japon féodal dans lequel se déroule le récit de Yuki est une société où les spoliations, les vols, les agressions et les incendies sont monnaie courante. La hiérarchisation sociale bat également son plein : entre les seigneurs locaux, les voyous, les samouraïs, les paysans, les mendiants et les riches propriétaires fonciers, on perçoit une stratification immuable qui régit les rapports humains et conditionne les liens de subordination.
Si les moyens dévolus au film apparaissent modestes, ses qualités sont pourtant indiscutables. Tadashi Imai échafaude une fable sociale pour enfants, où des paysans unis et placés sous le patronage d’un vieux sage vont se dresser contre ceux qui cherchent à les asservir et leur imposer des impôts disproportionnels. La ronde des personnages nous fait passer par une divinité adolescente, une gamine facétieuse, un mendiant borgne et boiteux ou un chef de village avare et opportuniste. Choral, parfois spectaculaire et toujours poétique, Yuki est à la fois critique et enchanteur, convoquant tant les figures sociales les plus viles que les éléments les plus cinégéniques (feu, neige, vent, secousses sismiques, lave volcanique…).
Tiré d’une nouvelle de Ryûsuke Saitô, Yuki se distingue aussi par plusieurs sophistications. Il en est par exemple ainsi de l’union des paysans symbolisée par des torches aperçues au loin et arpentant la montagne simultanément. La dégradation de la condition du chef du village est quant à elle incarnée par une double chute pathétique, au sens propre comme au figuré. Enfin, dans une veine marxiste, les révoltés évoqueront « la honte de souffler le vent de la défaite ». Car c’est bien là le message principal de Yuki : reprendre possession de son existence, s’épanouir sans être asservi, concourir à davantage d’égalité.
Sur Le Mag du Ciné