Yurt
6.7
Yurt

Film de Nehir Tuna (2023)

Allumer et éteindre trois fois...

Turquie, 1996. Ahmet, 14 ans, beau et doux comme un ange est issu d'un milieu relativement aisé. Il se soumet à la volonté de son père radicalisé. Le jour il est élève dans une école privée nationaliste qui avant le début des cours chante les louanges de l'Atatürk. Le soir il doit rejoindre en cachette un pensionnat religieux, un "yurt", où il reçoit, à coups de triques l'enseignement coranique.

Le jour, il est un élève brillant qui n'a d'yeux que pour la belle Sevinç. Le soir dans un dortoir surpeuplé, il reçoit les brimades d'autres pensionnaires ou les coups de ceintures d'un religieux particulièrement zélé dans l'art de montrer de quel bois il se chauffe. Grâce à Hakan, plus âgé, moins bien loti socialement pourtant, il va réussir à supporter l'atmosphère étouffante et terrifiante de l'endroit.

Cet excellent et magnifique premier film d'un réalisateur de 38 ans parle à n'en pas douter d'une expérience personnelle. Emprisonné entre deux orientations le garçon qui ne parvient pas à sentir malgré ses efforts la présence de Dieu en lui, obéit sagement à son père qu'il admire même s'il ne le reconnaît plus. Les rares beaux moments entre eux prouvent qu'il y a eu entre eux une belle complicité. La mère n'a rien à dire mais, confiante, ne voit pas la menace que peut induire cette schizophrénie éducative. Et aucun des deux n'imaginent le traitement que les pensionnaires du yurt endurent. Entre autres joyeusetés, les garçons sont appelés deux par deux, doivent se mettre face à face et s'envoyer des baffes de plus en plus violentes. J'imagine bien que cette pratique doit être inscrite dans le Coran... L'embrigadement est admirablement montré ainsi que la douce résistance de Ahmet. On est révolté une fois de plus par les dégâts, les aberrations et les méfaits de la religion mal comprise, mal enseignée par des religieux proches du fanatisme.

Le film évoque également les antagonismes du pays pris entre religion et laïcité dans un beau noir et blanc qui subtilement fait place à la couleur lors d'une scène où la lumière semble jaillir dans la vie perturbée d'Ahmet et offre aux spectateurs la possibilité de sourire et respirer enfin, nous sortir du malaise.

Dans le rôle de l'adolescent à la douce révolte, le réalisateur a trouvé une perle rare, un joyau brut à la prometteuse carrière. Tour à tour enfantin puis d'une maturité folle, Doga Karakas passe d'une émotion à l'autre dans la même expression. Il est remarquable tout du long dans ce film passionnant qui ne souffre que du quart d'heure de trop (petit flottement au milieu) propre à beaucoup de premiers films mais qui finit par redémarrer et nous emmener ailleurs... Remarquable !

LaRouteDuCinema
8
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le 8 avr. 2024

Critique lue 29 fois

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