C'est un homme, aujourd'hui puissant, qui s'adresse à un autre, aujourd'hui disparu. Il y a l'émotion du début, la dilapidation lente et exacte d'une collection lancée à deux, qu'il est impossible de continuer à regarder seul. D'ailleurs c'est dans les yeux de cet homme, Pierre Bergé, que naît la passion pour le génie créateur, Yves Saint-Laurent (YSL). Il est sur scène, chétif, il le repère, l'invite dans sa maison de vacances, tombe en amour. Il est toujours en arrière, dans l'ombre. C'est ici qu'il en sort, pour que celui qui se dit incapable d'autre chose que le dessin, la création de cet art mineur qu'est la mode pour lui, puisse vivre de sa passion, sa seule véritable adrénaline. Bergé est omniprésent, tout puissant, emporté dans cette histoire qui démarre au début de la carrière, chez Dior, de YSL. D'abord à Otan, au début de la guerre d'Algérie, puis assistant de Dior avant de prendre la tête de la direction artistique à sa mort. Encore jeune, il entre dans la mode seul mais c'est avec Bergé qu'il gagnera ses autres "combats", avant de se sentir submergé par l'accomplissement. L'attachement des deux hommes est fort, dit en voix off par Pierre Bergé, à l'image de leurs de corps qui se serrent dans la réussite. Mais il y a aussi l'acharnement, la détestable attitude qu'à parfois YSL envers Bergé, qui reste dans la détresse, car YSL le considère comme 'l'homme (avec lequel il a) envie de vivre". Il lui a fait choisir la vie après tout.

Et quelle vie ! Nous en avons des brises en accéléré. Ces brides, parfois exaltantes, sont aussi des survols, parfois frustrants. Comme les robes que dessinent YSL, nous voyons du créateur des esquisses, celles de ses infidélités, de ses rencontres, de ses désirs de voyage. Tout cela dans les décors édifiants prêtés par Bergé pour l'occasion du film qu'il cautionne pleinement, voire trop. Car le réal est comme étouffé par cette caution, il muséifie son film, où une trop grande part de la mise en scène est consacrée aux défilés. Seul un est réussit, le dernier, avant-dernière scène du film, qui nous fait comprendre le personnage que Bergé dit heureux deux fois par ans, au moment de ses collections. Et, justement, cette omniprésence des défilés peine à faire sentir réellement le profond déchirement que ressent YSL, de son premier internement en hôpital psychiatrique, à son refuge dans les excès de la drogue et de l'alcool. Le survol donne pourtant parfois naissance à de fabuleuses scènes, notamment entre les deux hommes, ou encore avec les femmes qui furent comme les "muses" de YSL. Ses "héroînes dans la vraie vie", comme il le dit lui-même, ses mannequins, de Victoire (étonnante Charlotte Le Bon, qui se révèle douée à mon grand étonnement), qui devient rivale, à Loulou, en passant par Betty. La première mise plus à part, ce sont seulement des à côtés dans le film, alors qu'elles furent des éléments primordiaux dans la vie et la carrière de YSL. Dont Betty qui marque un tournant plus provocateur dans sa carrière. De Victoire à Betty, il y a la sagesse du corps qui disparaît, l'élégance qui s'affranchie.

Le film est élégant, trop élégant, parfois trop sage, pas assez surprenant. Il illustre, à l'image de la musique, bien trop souvent la vie du personnage public, écueil des biopics institutionnalisés. Dommage, parce que le film a du potentiel, et surtout dans ses acteurs qui, eux, dépassent le simple cadre du biopic. Ils transcendent leurs personnages, les font vivre littéralement, de manière parfois bouleversante. Gallienne excelle, derrière la caméra, dans la force de l'être dévoué. Quant à Pierre Niney, il réinvente tout, sa voix, son jeu, et son corps. Un corps qui devient le jouet de la vie, la souffrance incarnée.

C'est puissant ce que ces deux là font à ce film parfois exaltant mais qui peine à décoller, à s'affranchir. Les deux comédiens livrent de vrais beaux moments, comme dans cette chambre d’hôpital où l'un cri à l'autre de vivre, l'exalte à le regarder. Cet autre recroquevillé, que ce crayon, tenu à bout de main, a mené vers la beauté, purement et simplement.
eloch

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