Blind Takeshi.
Adapté du roman de Kan Shimozawa qui aura déjà donné naissance à de nombreux films entre 1962 et 1989, Zatoichi est la tentative du cinéaste Takeshi Kitano de proposer un long-métrage apte à réunir...
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le 17 juil. 2016
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Kitano, il aime Zatoïchi, je crois. S'il s'était déjà fait un petit plaisir dans Getting any?, là il s'offre carrément d'en réaliser un entier et d'en jouer le rôle principal. C'est un enfant, Takeshi, il s'éclate, il se fait plais', il joue avec le cinéma.
Dès les premières minutes on découvre son personnage : blond, mutique, épuré des mimiques de l'acteur historique Shintarō Katsu. On constate très vite que Beat Takeshi ne reprend pas la caractéristique gestuelle féline du personnage, il se veut plus froid et moins passionné.
Pourtant des tributs aux œuvres d'origine il en paie, celui qui frappe le plus étant la photographie. Des hautes-lumières fortes et très blanches, une colorimétrie froide, désaturée, envahie de verts jade et rouges nuit très profonds : le DP de Kitano reproduit le style glacial et noir de Chikashi Makiura, DP des premiers Zatoïchi couleur et entre autres de la saga Lone Wolf and Cub.
Cette oscillation entre hommages et ruptures avec la série Zatoïchi, Kitano en jouera tout le long. Ça le rend d'un côté un peu moins libre que d'habitude : il doit – bel et bien – payer un tribut à Zatoïchi. Ça nous conduira aux éternelles histoires interchangeables de clans rivaux et de parias vengeurs blablabla qui plombaient déjà pas mal la saga, et dans lesquels Kitano met les deux pieds. Mais ça le rend d'un autre côté imprévisible : comme dit, ces codes il en joue et il les rompt quand on l'attend pas.
Habitués qu'on peut être à un Ichi complexe, certes meurtrier mais mesuré et globalement bienveillant, Kitano semble dans la première partie suivre cette voie. Il nous met en place le petit ronron familier d'un Ichi peu bavard mais souriant et sympathique, on se sent à l'aise, en confiance. Et soudain cette réaction brutale dans le tripot. Un lancer de dés truqués provoque un massacre. Le film vous réveille, il vous dit « la fête est finie », Ichi se révèle plus violent que l'univers dans lequel il évolue, il n'est ni bienveillant ni sympathique, on entre dans un autre monde à partir de cet instant.
Discrète jusqu'ici, la musique du film nous sert alors une danse spectrale, sombre et héroïque, frappante. La bande originale de Keiichi Suzuki rend le personnage plus terrifiant qu'il ne l'a jamais été, elle tranche le vent derrière son kimono noir dans la nuit. La musique, le cinéma de Kitano l'a toujours mise au sommet. Je l'ai déjà dit çà ou là, certains films comme A scene at the sea se cassent peut-être un peu la gueule sans Joe Hisaishi. Et c'est pas négatif de dire ça : chez Kitano la musique n'est pas juste une surcouche, elle fait physiquement partie de l'œuvre. Et cette fois il le martèle littéralement, intégrant les bruits de paysans et d'ouvriers dans la bande originale, jusqu'à un spectacle final bien senti. Marquant la fin d'une longue et historique collaboration avec Hisaishi, Suzuki apporte un style moins planant et rêveur, plus percutant et sec. Et si j'aime beaucoup Hisaishi, je dois dire que ce changement est rafraîchissant, il était peut-être temps.
Maintenant qu'on a dit tout ça, reste que le film a des faiblesses. J'ai déjà parlé des pénibles intrigues de yakuzas qui rendaient déjà beaucoup de Zatoïchi indigestes.
Je peux parler aussi des effets visuels du film : c'est dégueulasse. Vraiment. Je sais pas exactement qui a géré les FX mais c'est un carnage ; et qu'on ne me parle pas d'effets de style, personne ne peut raisonnablement vouloir ce rendu. Si c'est une question de pognon j'aurais préféré un film peu sanglant, à l'ancienne, que forcer le truc au numérique avec zéro budget. Le traitement du son fait déjà un gros taf dans le ressenti de violence, y avait pas besoin d'en faire des caisses visuellement. Si y a pas de sous y a pas de sous, y a des décisions à prendre et des décisions à pas prendre.
J'ai un peu de mal aussi avec les scènes d'action. Les chorégraphies sont en général pas dingues, un peu paresseuses même, et on compense cette faiblesse par une combinaison de cadrages serrés et de coupes épileptiques au montage. Les combats sont ainsi peu intéressants, jusqu'au duel final contre le yojimbo d'en face qui se montre particulièrement décevant et bizarrement monté. Alors que même les plus mauvais Zatoïchi se faisaient parfois un peu sauver par un duel final bien chorégraphié, c'est très frustrant de voir Kitano se foirer là-dessus.
Ces paresses de mise en scène, on en retrouve à droite à gauche. Je pense par exemple à la danse du frère-geisha : j'entends l'intention mais quelque chose cloche dans la manière de filmer, à mon sens ça ne marche pas très bien, je ne ressens pas la grâce du personnage. D'une manière générale, je crois que ce frère et cette sœur sont sous-exploités dans leur potentiel icônographique, pourtant les couples mystiques Kitano il sait faire (Dolls). Là il nous les balance, on ingère leur histoire et y a quelques beaux moments – je trouve les enfants des flashbacks meilleurs que les adultes –, mais y a une espèce de fainéantise dans la mise en scène et le développement des personnages secondaires qui me gêne.
Je crois que Kitano, sur ce film comme je ne l'avais pas tellement senti avant, passe trop de temps devant la caméra et pas assez derrière. Il est concentré sur son Ichi et ses séquences sont, c'est vrai, très réussies. Mais la mise en scène est un peu plus inégale sur le reste du film, le comique fonctionne mais le dramatique tombe parfois à plat, certains personnages manquent de direction, même la caméra manque d'idées, d'ambition.
Ce Zatoïchi reste dans l'ensemble un bon film. Le personnage d'Ichi est glaçant, certaines scènes sont scotchantes, et franchement la musique porte l'œuvre sur ses épaules même quand celle-ci baisse en régime. Y a un quelque chose qui laisse un bon goût dans la bouche au générique de fin, y a un effet Waw! certain. Je suis un peu dur – parce que – mais on va pas se mentir : si c'est loin d'être le meilleur Kitano, c'est en tout cas un chouette film et un bon Zatoïchi.
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Créée
le 11 sept. 2022
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