Ce Hitman 6 souffre d'être devenu une machine à fric automatisée.
Hitman a toujours été un jeu d'infiltration. Parfois plusieurs missions pour atteindre une seule cible ; des zones parfois linéaires, parfois non ; des ruelles sombres, des hôtels riches, des étendues enneigées, des banlieues résidentielles en plein jour, des lieux publics bondés, etc. Bref, un concept assez riche où la difficulté résidait dans le fait de ne serait-ce que s'approcher de la cible. Les missions open où vous êtes face à un grand bâtiment sandbox étaient finalement peu courantes, et demeuraient marrantes à petite dose.
Sauf que le grand bâtiment sandbox, bah c'est le plus facile à conceptualiser. Un peu de level design, puis on y place des PNJ auxquels on attribue des scripts de déplacements, des objets stratégiquement disséminés, et éventuellement on dit « Alors les cibles c'est ce PNJ-là et ce PNJ-là. »
C'est un concept très facile à industrialiser, qui ne demande pas de penser le déroulement d'une mission. Le joueur se débrouille pour imaginer comment il va aborder la zone.
Et ce sixième volet, après pourtant un excellent Absolution, se résume désormais à ce principe. Une zone donnée avec différentes équipes de personnel, allant des serveurs aux agents d'entretien en passant par les différents grades au sein de la sécurité, et vos cibles qui se baladent soit dans une sous-zone publique, soit dans une sous-zone à accès restreint. Il n'y a que les décors qui changent, mais toutes les missions sont interchangeables. C'est donc très, très répétitif.
Et est-ce que ça marche quand même ?
Non, c'est chiant.
Et ce qui me dérange le plus c'est que la difficulté du jeu est purement psychologique.
Concrètement, on vous interdit de commencer le jeu en mode Professionnel, vous êtes contraint de le faire en mode Normal, donc un niveau de difficulté très bas. Quand je dis très bas, je veux dire que sur n'importe quelle mission il vous est très facile de décider de juste exterminer toute vie sur la map, tant vous pouvez prendre un nombre incalculable de balles avant de mourir et qu'il suffit de vous mettre quelques secondes à couvert pour régénérer. Et sans aller jusqu'à de telles extrémités, disons qu'il est aussi très simple de monter en grade dans les déguisements : serveur, puis sécurité, puis officier, puis sécurité rapprochée, etc. Il est très aisé d'approcher la cible, qui se déplace souvent avec un ou deux gardes. Dès que le trio est isolé dans un couloir, les gens sont tellement lents à la détente qu'il vous suffit de fracasser tout le monde au marteau et de finir la cible au sol. Même si ça fait du bruit et que ça ramène du monde, du moment que personne ne vous a directement vu faire et que vous quittez les lieux rapidement vous ne risquez rien, au pire si une fois réveillés les gardes donnent votre description vous changez de costume et hop, on continue.
Et je dis ça en ayant pourtant désactivé toutes les assistances qu'il est possible de désactiver dans les options. Je n'imagine même pas la facilité de ce jeu avec le système d'instinct et toutes ces conneries.
Alors pourquoi je dis que la difficulté est psychologique ? Parce qu'elle réside uniquement dans la bonne volonté de viser un score décent en fin de mission. Qu'est-ce qui m'empêche de tuer tout le monde ? Le score. Qu'est-ce qui m'empêche de tuer cet innocent qui gêne le passage ? Le score. Qu'est-ce qui m'empêche d'assommer frontalement ce garde à la clé à molette ? Le score. Qu'est-ce qui m'empêche d'exécuter ma cible au milieu du hall d'entrée et partir en courant ? Le score.
En soi je n'ai rien contre le principe de score. Je dois dire que je me suis bien amusé sur Absolution à exploser les scores en Professionnel. Steam m'y donne 56,6 heures de jeu, j'y ai pris beaucoup de plaisir. Parce que ce système de score vient se reposer sur un jeu bien pensé, avec des missions très variées. Absolution me donnait envie de me dépasser, de ne pas me faire repérer, de jouer proprement.
Mais le score doit rester un bonus, un challenge supplémentaire qui s'ajoute à une base déjà solide. Il ne doit pas devenir un outil visant à faire du joueur un bon élève. Dans ce Hitman 6, au contraire, si ce n'était pour le score, chaque mission pourrait se boucler en quelques minutes. Le score devient un élément de gameplay à part entière, il génère artificiellement la seule proposition de difficulté du jeu, une difficulté que le joueur choisit donc par lui-même de s'infliger en décidant volontairement de ne pas déclencher d'alarmes, de ne pas tuer d'innocents, de faire passer le meurtre pour un accident, etc. Une difficulté psychologique fondée sur le volontariat, donc, qui n'existe pas concrètement dans le gameplay, puisque comme dit il y a toujours moyen de défoncer une mission en quelques minutes au prix d'un mauvais score. Et c'est même pas comme si un bon score apportait quoi que ce soit aux missions suivantes : le jeu a été vendu en kit et la manière dont vous finissez un contrat n'a absolument aucune influence sur le contrat suivant, tout est bien décousu et indépendant comme il faut.
On accepte de jouer le jeu les deux ou trois premières missions, c'est un nouveau Hitman, on est enthousiaste, on fait les choses bien... mais à mesure qu'on réalise que toutes les maps se ressemblent, que les cibles sont faciles d'accès et qu'il n'y a plus vraiment d'infiltration, on finit par se dire qu'en fait on s'en fout complètement du score, qu'on se fait tellement chier qu'on va juste finir ce truc ; alors on pète un câble et on joue de plus en plus crasseux. En bouquet final j'ai rempli le contrat de l'hôpital à la hache. 94 personnes tuées, presque aucun survivant, c'est le seul moment où je me suis amusé dans ce jeu, pour me rendre compte qu'en fait c'était le dernier contrat.
En somme, on a un Hitman 6 au concept industrialisé, purement sandbox et répétitif. Si on ne le boucle pas en quelques heures, c'est uniquement parce qu'on accepte docilement de jouer le jeu du score. Les concepteurs ne se font plus chier à conceptualiser du challenge, ils incitent les joueurs à se les imposer eux-mêmes. Et dans tous les cas, même en n'étant pas excessivement bourrin, ce volet c'est à peine une douzaine d'heures de jeu avec un scénario décousu et mal écrit de préquel Netflix à la con. Ce n'est, de toute façon, pas au niveau de la saga. Sur aucun plan. J'ai fait tous les épisodes et celui-ci est, à mon sens, de très loin le pire jusqu'ici. Pire que le 3 qui était jusque là le plus imparfait mais qui avait malgré tout des contrats mémorables. Vu la philosophie de rentabilité et de moindre effort sur laquelle ils se sont lancés, ça me chauffe pas à lancer le 7 et le 8.
Et petit détail pour finir : sur un socle de gameplay aussi répétitif et ennuyeux, je dois dire que l'absence de Jesper Kyd se fait d'autant plus ressentir. (: