Il a des côtés faciles, ce film, mais je l'aime bien.
On suit une gamine un peu insupportable, qui fausse compagnie à sa mère pour profiter de Paris où sa mère vient une journée. Elle rencontre des inconnus, à qui elle joue des crasses. Elle critique avec beaucoup d'impertinence, voire de tranchant, le monde des adultes. A la fin, elle reprend le train, et sa mère lui demande : "Alors, qu'est-ce que tu as fait ? - J'ai vieilli".
N'ayant pas lu le livre de Queneau, je ne l'ai pas regardé en termes d'adaptation, ce qui est sans doute une bonne chose. Disons qu'il y a deux choses qui me frappent :
- D'abord, en tant qu'historien, le regard sur le Paris des années 1960. Un Paris déjà conquis par la voiture, mais encore non-gentrifié, avec des artisans et des classes populaires, des terrasses de café où l'on va à la sortie du boulot. On pense tout de suite à Doisneau, bien sûr. Ce qui frappe aussi, c'est la pollution atmosphérique et sonore, bien moindre. Il y a aussi des allusions à l'air du temps : à la Nouvelle Vague, à la torture en Algérie, et de manière inattendue, des questions sur l'homosexualité, les femmes.
- Une invention permanente dans les plans et le montage, faite comme un pied de nez aux règles habituelles du cinéma : les faux raccords sont volontaires, etc...Les couleurs sont très vives, un peu comme chez Demy. Voici quelques exemples qui m'ont marqué :
Le travelling avant à la tête d'un train arrivant en banlieue parisienne, avec un air décontracté sifflé, qui rappelle La bête humaine de Renoir.
Le long travelling latéral de Jeanne courant sur le quai de la gare de Lyon vers Gabriel.
A plusieurs reprises (par exemple 9 mn 20), il y a des jumpcuts comme dans Norman.
Un côté très cartoon Tom et Jerry, avec les gens se battant pour monter dans le taxi surchargé/déglingué. Du montage accéléré à la Benny Hill. Zazie qui se dédouble, qui lance un baton de dynamite au monsieur au parapluie.
Dans la scène du souper, le placement des personnages change tout le temps. Avec des courtes focales, en plus.
Zazie qui vide son assiette de frites dans le hors-champ. Son histoire à rallonge passée à l'envers.
Un plan fou de Noiret parlant sur le toît d'un ascenseur de la Tour Eiffel qui monte, en contre-plongée.
Travelling descendant et vertigineux sur Zazie et Charles, le chauffeur, descendant la tour Eiffel sur un escalier en colimaçon.
La scène de la voiture accrochée à une dépanneuse. Les personnels de la grue qui chopent un plateau-repas dans un bus pour touristes à deux étages.
La séquence nocturne finale, où les personnages s'interchangent d'une scène à l'autre.
Le happening final (un peu lassant), vire dans une esthétique pop qui préfigure Les petites marguerites (je pense notamment au gâchis de bonne choucroute).
Au fond, le film a un côté très "collage", qui peut agacer, selon les goûts.
Le film n'est pas une réussite complète, hein. Je ne sais pas si c'est délibéré, pour créer une distanciation, mais la postsynchro est une horreur absolue. Et le jeu de la gamine, qui cabotine n'est vraiment pas transcendant, voire horripilant. Le film est à son meilleur quand son héroïne ne parle pas. Et donc l'aspect impertinent passe assez mal dans les dialogues, plutôt dans la forme du film.
Parmi les petites curiosités, un Noiret jeune, que la caméra fait ici passer pour un géant, et une apparition de Sacha Distel qui sort d'une colonne portant une affiche à son nom.
Zazie dans le métro, c'est un de ces films en mouvement permanent, qui cache son inconséquence en vous donnant une surprise à chaque plan. C'est un peu lassant par moment, mais c'est poétique, stimulant et ça se donne pour impertinent. Je crois que ce que j'aime le plus dans ce film, c'est de voir tous les objets habituels détournés de leur usage premier pour créer un sentiment de drôlerie et de décalage permanent.
Après, un vrai défi : essayez de regarder ce film sans choper ensuite un accent de titi parisien pour toute la soirée.