Plus une reconstitution qu'un film.
Il est rare qu’une réalisatrice soit abonnée au cinéma de genre masculin. Et pourtant, il en existe ! Kathryn Bigelow (ex-madame James Cameron) en fait partie, comptant notamment à son actif Point Break, K-19 et Démineurs. C’est d’ailleurs avec ce dernier qu’elle reçu la consécration aux Oscars, le film en ayant remporté deux (meilleur film et meilleur réalisateur). C’est donc avec impatience que son nouveau projet se faisait attendre, traitant en plus d’un fait réel récent qui a marqué les mémoires : la traque d’Oussama Ben Laden. Après Démineurs, Bigelow s’intéresse de nouveau à un sujet de guerre. Le résultat est-il à la hauteur ?
Après le 11 septembre 2001, le renseignement américain traque pendant plus de dix ans Oussama ben Laden, chef du réseau jihadiste Al-Qaïda, jusqu'à la nuit fatidique du 2 mai 2011 avec l'opération Neptune's Spear conduite par les forces spéciales américaines.
Une première minute sur fond noir. Sous-titres, voix et bruitages pour représenter les attentats du World Trade Center. Comme quoi, le son se montre aussi horrible qu’une terrifiante image ! Puis on enchaîne aussitôt avec ce qui a lancé la polémique aux Etats-Unis : aucun tabou pour la torture ! Et il faut avouer que ces séquences dérangent, prenant diablement leur temps et jouant à fond la carte de l’inhumanité (le bourreau jouant de la confiance de sa victime). Et commence enfin la traque de Ben Laden (ou plutôt de son coursier) jusqu’à sa mort. En clair, Zero Dark Thirty raconte 10 ans de traque, en 2h29. C’est plutôt court ! En effet, le film, divisé en chapitres, ne semblent que mettre en avant les points essentiels de cette chasse à l’homme, évitant les détails. Mais surtout le fait de donner une histoire aux personnages. Ces derniers se liant on ne sait comment et perdant de l’intérêt vis-à-vis des spectateurs. Fort dommage, car cela aurait apporté bien plus à ce film qui se tourne donc à 100% vers son sujet, oubliant de donner une âme. Non, Zero Dark Thirty ne peut se voir en tant que film. Plutôt comme une « simple » reconstitution qui nous fait découvrir ce que les médias n’ont pu nous montrer, en ne pouvant éviter quelques longueurs. En clair, le long-métrage de Bigelow se montre, scénaristiquement parlant, intéressant à suivre sur le plan « espionnage » et de la curiosité, plutôt que pour le sens dramatique de l’ensemble, malheureusement inexistant.
Un constat fort dommage, étant donné que la mise en scène se montrait à la hauteur. Il n’y a qu’à voir le « sombre début » sur le World Trade Center ! Sans oublier avec quelle calme sont filmées les séquences de torture. Ajouter à cela un assaut final incroyablement prenant et réaliste (mise en scène à la Démineurs : l’impression de faire partie du commando) et un suspense haletant (certains attentats, comme celui de Londres et de l’hôtel Marriott, inattendus, pouvant surprendre ceux en manque de sensations fortes), et vous obtiendrez une ambiance captivante, qui nous permet de ne pas lâcher l’affaire une seule seconde. Jusqu’au générique. Après, le manque de trame fera malheureusement oublier tout ce beau travail, pourtant enjolivé par des bruitages et effets spéciaux de qualité. En plus de la partition discrète mais évocatrice d’Alexandre Desplat.
Et la distribution est également de la partie ! Réunissant toute une troupe d’excellents acteurs ! Malheureusement, le scénario ne leur permet pas d’exhiber pleinement leur talent. Notamment les seconds rôles, qui se voient donc réduits en tant que figurants durant quelques scènes. Entrant et sortant du récit comme si de rien n’était ! Un constat s’appliquant à Mark Strong, Kyle Chandler, Edgar Ramirez, James Gandolfini et Joel Edgerton entre autres. Zero Dark Thirty ne s’attarde donc que sur le personnage principal, une femme (ce qui est rare dans le cinéma de Bigelow), joué par Jessica Chastain (la révélation de The Tree of Life). D’un naturel bluffant (au point que sa crise de colère auprès de son supérieur semble bien réelle) démontre que l’actrice possède un talent certain, au point d’attirer les réalisateurs et les nominations (dont l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle).
Au final, Zero Dark Thirty se présente comme une reconstitution efficace et prenante. Qui se veut réaliste et polémique (pour l’usage abusif et cruel de la torture). Mais le manque d’intérêt que l’on porte aux personnages et l’enchaînement brouillon des chapitres (qui perd facilement le spectateur le moins documenté) n’arrivent pas à fournir au film le statut de chef-d’œuvre, voire de long-métrage d’excellence. Zero Dark Thirty se découvre, se suit sans déplaisir (malgré un ennui pointant souvent le bout de son nez) et s’oublie un peu trop facilement par la suite. L’intérêt de l’ensemble n’étant pas mis en valeur par une trame digne de ce nom. Fort dommage… Dans le style de la reconstitution abrégée et passionnante aussi bien au niveau de l’histoire que des protagonistes, David Fincher s’en était mieux sorti avec Zodiac.