Il est intéressant de savoir que le film, à la base, devait nous faire vivre la traque, un peu vaine croyait-on à l'époque, obsessionnelle de l'ennemi numéro un des Etats-Unis : Ben Laden. Sauf que la CIA l'a choppé et a décidé de le tuer aussi sec. On aurait peut-être pu avoir un vrai film si la CIA avait fait chou blanc, mais pour une fois ils ont pas foiré leur objectif.
Passons sur les, nombreux, bons points du film. Bigelow sait réaliser, pas de soucis. Elle choisit d'adopter un ton réaliste et qui dit réalisme dit caméra à l'épaule (c'est une convention moderne, plus ça bouge, plus c'est trop réaliste t'as vu) mais en évitant les écueils de la caméra qui donne le tournis. Sur ce point, l'assaut final pour assassiner Ben Laden (n'ayons pas peur des mots) est très bien maîtrisé. Que ce soit le son, l'image, le cadrage, l'implication bref une scène réussie qui, globalement, correspond bien au film. Il faut aussi reconnaître que malgré toutes les informations à digérer, le film sait rester fluide, compréhensible (juste savoir que OBL est chef d'Al-Quaïda et qu'il a mise en place divers attentats, dont celui du 11 septembre ce qui lui a valu d'être numéro au top 50 des plus gros salopards selon les américains) et on ne se perd jamais dans la profusion de noms d'origines arabes (souvent longs et pas faciles à retenir). En résumé, sur le plan technique, ça roule. On ne crachera pas non plus sur un Desplat plutôt inspiré, même si discret (orientation du film oblige).
Car oui, Bigelow a voulu être la plus réaliste possible. Soit. Pour cela elle s'appuie donc sur moult rapports officiels américains, témoignages et j'en passe. Le soucis est qu'à force de vouloir se coller au plus près du réel, elle en a oublié de s'imposer quelque part. A un moment, un cinéaste doit adopter un point de vue et se dédouaner de tout jugement, point de vue, contestations, avis, orientations et j'en passe, c'est juste servir un reportage (bien léché) et non pas une oeuvre. De plus, les évènements étant très récents, on apprend pas grand chose de plus que ce qu'on a appris sur BFMTV. Oui, on apprend le nom de celui qui hébergeait Ben Laden, oui on connaît le cheminement qui a amené la CIA à trouver mais est-ce pertinent en soit ? Pas vraiment. L'impression d'avoir faire à une page wikipédia en image est assez dérangeante.
Prenons l'exemple de la torture. Bigelow se dédouane complètement d'une lecture sur ce point. Sous Bush, on torture comme des gorets et ça nous amène à une information capitale (le nom de ce qui sera celui qui héberge Ben Laden) et sous Obama, vu qu'il a eu un prix Nobel de la paix quand même, on arrête la torture et on sert du café au terroriste, mais ça nous permet quand même de continuer tranquille. Alors oui, ce sont les faits (enfin ceux officiels, on sera jamais si c'était aussi binaire) mais on apporte aucune substance. Le personnage de Maya, face à sa première torture est un peu dérangée car c'est pas jojo de torturer un homme. Mais elle s'y fait très vite et l'évolution est pas flagrante (vas-y que je demande à mon pote musclé de te foutre des mandales). D'ailleurs, le personnage de Maya est le seul personnage développé du film. Le reste ne sont que fantômes qui traversent la quête. A noter une, très bonne dernière scène qui aurait du guider le reste du film de ce point de vue. Le vide que cela provoque chez le personnage de Maya. Une fois mon objectif résolu, il me reste quoi à moi qui vient de passer 10 ans de ma vie à le traquer ? Sauf que cette question ne se pose et ne se développera que sur une scène, finale, de 5 secondes. Bien trop peu.
Qu'est ce que ce film apporte de plus qu'un reportage ? Rien. Pas de personnage développé, pas de thème mise en avant, pas de questions posées etc. Les faits, les faits et encore les faits. Voila le coeur du film. Il ne va jamais au delà (sauf la séquence finale). On pourrait croire que c'est de la distanciation, mais non, le film ne fait pas s'interroger les spectateurs.
Si Zero Dark Thirty n'est pas un mauvais film, loin de là, il manque cruellement de fond. Dans un évènement aussi proche de nous, il est fort dommage de ne pas amener de substance à des faits. Kathryn Bigelow, à l'image des (non)personnages, ne fait que traverser le film sans s'y poser et nous propose plutôt un reportage (même pas un documentaire) avec des moyens Hollywoodiens. Ce n'est pas désagréable mais pas très utile.