Depuis quelques temps, les studios d’animation Disney semblent vouloir retrouver leur maturité d’antan, ou du moins atteindre la même aura inventive que les studios Pixar, dont la récente production « Vice-Versa » reste un tour de force difficilement égalable. Voici donc que se profile « Zootopia », long-métrage rassemblant les meilleures têtes de chez Disney, et même une venant de Pixar : John Lasseter, qui a pris part à la production du film. Si certains y voient un aboutissement émancipateur, force est aussi de constater que certains écueils habituels ne sont pas évités.
Difficile en tout cas de bouder son plaisir au premier abord, tellement l’univers anthropomorphique développé est foisonnant, et surtout idéologiquement intelligent. En effet, si envoyer une lapine de la campagne, les étoiles dans les yeux, réaliser son rêve de devenir policière à la ville n’est pas d’une grande originalité, c’est tout le fantasme irréel de cette grande aire urbaine de « Zootopia » qui est exposé avec pertinence. L’endroit où chaque espèce animale, anciens prédateurs comme anciennes proies, vivraient en parfaite harmonie… S’ils n’étaient pas tous pétris de préjugés et de défiance envers leurs contemporains. Disney synthétise ingénieusement par cette parabole le problème de la haine raciale, des conflits entre classes sociales et même de la misogynie. Certes, le récit n’échappe pas à une certaine conformité par cette enquête policière plus ludique que poignante. Qu’importe, de nombreuses scènes décalées ficellent le tout avec un humour irrésistible bien que digressif : de l’hilarante scène des paresseux au comptoir à l’étonnante apparition du Parrain aka Marlon Brando en hamster, la candeur est souvent rafraîchissante. Elle l’est parfois moins : en résulte une référence trop appuyée à Breaking Bad ou un portrait trop caricatural de nudistes en pleine méditation pseudo-spirituelle.
Le scénario pêche réellement lorsqu’il développe d’autres thèmes adultes avec moins de pincettes, voire aucune. Il est par exemple dérangeant de le voir justifier la présence de caméras de surveillance dans chaque recoin de la ville : cela n’a beau être qu’un ressort narratif, il est loin d’être anodin. Sa représentation de la sphère politique n’échappe pas ensuite à un manichéisme qui le fait tomber dans la facilité : il n’est pas très courageux de démontrer un pouvoir entièrement gangréné par les intérêts personnels, et ce même si cela n’est pas si loin de la réalité. Un peu de nuance ne fait pas de mal, bon sang ! Si ce panel impressionnant de personnages parvient à un équilibre rare et presque salvateur tant ils sont tous bien exploités, la plus grande subtilité du film réside finalement dans l’impact des médias et du discours sur l’opinion publique. L’ambivalence d’une déclaration publique de notre fière lapine malgré elle, les flashs-infos installant un climat de peur, Disney ne pouvait pas être plus actuel qu’avec ces représentations.
Tandis que Shakira fait grincer des dents (et saigner des oreilles !), que le happy-end final est certainement trop précipité, on n’oublie pas néanmoins la qualité de l’animation sans faute qui embellie un univers et des personnages au potentiel fort, notamment pour des suites plus abouties. Car si ce « Zootopia » ne manque effectivement pas de substance et de fraîcheur, il n’est pas d’une maturité à toute épreuve. Dans sa représentation contrastée de l’utopie, Disney et le réalisateur Brad Bird avaient fait plus fort l’année dernière avec « Tomorrowland ».
Ma critique de "Dumbo" : http://www.senscritique.com/film/Dumbo/critique/38349255
Ma critique de "Tomorrowland" : http://www.senscritique.com/film/A_la_poursuite_de_demain/critique/38673355