Adaptation de l’un des chefs-d’œuvre de Níkos Kazantzákis, Aléxis Zorbás est à la fois un grand film sur le collectif et un film de caractères, singularisant dès son entrée le personnage éponyme par une attention portée aux regards des voyageurs reclus dans une salle en attendant que la pluie cesse : à peine entraperçu par la fenêtre, le voilà clopinant en direction d’un ami inconnu mais choisi, un Anglais qui ne parle pas la langue grecque et qui revient en Crète pour des raisons d’héritage familial. Car Zorbás ne saurait être considéré, par sa truculence, comme l’allégorie d’un pays, cristallisant à lui seul ses traditions et son savoir-vivre ; il apparaît davantage comme un marginal agité par ce « grain de folie » qu’il cherche en Basil, proche en cela des héros du cinéma en devenir de Werner Herzog ; un surhomme contraint, par la démesure et la richesse de son intériorité, à l’errance et à la solitude. Le long métrage s’avère être le portrait de deux solitudes qui s’apprivoisent et unissent leurs pas en une danse, devenue iconique, retranscrivant l’idée qu’il reste toujours quelque chose, et que si même l’espoir n’est plus on peut toujours danser. La musique – le chant, la chorégraphie qui l’accompagne – constitue d’ailleurs la liberté sauvage du mentor grec, puisqu’elle ne saurait appartenir à une quelconque transaction.

Dès lors, le statut de carte postale du film s’effrite à mesure que nos protagonistes accèdent aux profondeurs tourmentées et violentes d’un espace géographique superposé sur l’âme des êtres qui y vivent ; la séquence d’exécution de la femme veuve sur la place publique glace le sang en raison de sa longueur, de l’agilité avec laquelle la caméra la suit, du retournement de situation qui la décompose en deux parties séparées, pendant quelques secondes, par l’espoir d’un appel à la paix. Pèse sur la destinée des personnage un fatum, matérialisée par ces structures de bois qui s’effondrent les uns après les autres telles les cartes d’un château. La magnifique photographie de Walter Lassally et l’interprétation inimitable des comédiens principaux achève de faire d’Aléxis Zorbás une œuvre mémorable, mue par une belle et douloureuse quête d’idéal qui, à défaut de pouvoir transformer le monde, l’habite par son imaginaire.

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