Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr
Mélanger visual novel et tower-defense, l’idée de départ de 13 Sentinels n’allait pas de soi. Et pourtant, le studio Vanillaware a su la faire fonctionner, en faisant de ces genres les deux versants d’une même histoire, captivante comme une bonne série animée. Il y est question d’une bataille opposant kaijus et mécas pilotés par des ados, sur fond de romances de jeunesse et de mystères-dans-des-mystères, que le jeu dévoile au compte-goutte avec une belle maîtrise de l’écriture. Car 13 Sentinels est avant tout un jeu narratif, centré sur son mode « aventure » ; les batailles stratégiques n’y sont qu’un à-côté certes étoffé, qui occupe moins de temps de jeu, séduit sans doute moins aussi, tout en restant plaisant.
On joue ces batailles sur une carte simplifiée, où méchas et ennemis sont représentées par des formes rudimentaire. Si l’on accepte le déroulement très classique de ces missions (qui ne réinventent pas le T.D.) et leur représentation simplifiée, sans doute le seul moyen pour le studio de faire rentrer sa grosse ambition narrative dans un budget serré, le mode bataille conserve ce qu’il faut de substance pour accrocher : son système de progression est simple mais fonctionnel, et permet de choisir assez finement l’arsenal et les compétences que l’on veut monter pour chaque méca ; et la montée en puissance de sa difficulté, bien calibrée, invite à s’investir dans l’aspect tactique de ce mode, notamment dans la composition de son équipe en préparation des batailles. On y a donc pris un certain plaisir, dans une limite que le développeur Vanillaware semble connaitre puisqu’il ne s’éternise pas non plus sur ce volet, et nous fait passer la plupart du temps sur le versant « aventure », plus stimulant.
Dans ce mode narratif, l’histoire de 13 Sentinels se raconte en courts chapitres regroupés en « récits de héros », au nombre de treize au total, accessible via un menu en ronde de personnages qui sont autant de « tiroirs à histoires ». Via ce menu, il est possible de composer soi-même l’ordre de sa progression narrative, en rebondissant du récit d’un héros à celui d’un autre : on peut très bien choisir d’élucider le destin d’untel jusqu’à son terme (sauf barrage prévu par l’histoire), comme de basculer vers celui d’un autre personnage dont la perspective nous intrigue, et qui ouvrira à son tour d’autres révélations, d’autres mystères, et autant d’occasions de rebondir vers d’autres fils narratifs. Cette manière qu’ont les récits de s’interpénétrer est l’un des attraits de l’écriture, qui transforme l’intrigue générale en un labyrinthe où il est plaisant de se perdre.
Ce qui impressionne, c’est que les articulations narratives, bien que choisies par le joueur, conservent une forte intensité dramatique, comme si leur progressivité avait été taillée par les scénaristes. Malgré l’approche modulaire du récit, dont on aurait pu craindre qu’elle casse les effets dramatiques, la progression ressemble à celle d’une vraie série animée : les chapitres se vivent comme des épisodes successifs, multipliant les échos réciproques et convergent en un même ensemble. Comme dans une bonne série, on prend plaisir à voir les différentes pièces du puzzle narratif se mettre en place, tisser des connexions et éclairer les zones d’ombres, lors de révélations fracassantes qui bouleversent plusieurs fois notre perception du monde et nous rendent impatients de connaitre le fin mot de l’histoire.
Comme une série, d’ailleurs, on peut trouver que 13 Sentinels se joue mieux par courtes sessions que sur de longues plages de temps, du fait de sa densité en informations qui peut conduire à la surchauffe. C’est aussi ce qui rend les premières heures intimidantes, entre les treize personnages jouables qu’il propose (sans compter les « PNJ »), les cinq époques différentes sur lesquelles se déroule son histoire, et son ensemble touffu de concepts S.F., certes introduits au compte-goutte, mais dont on a vite fait d’oublier des éléments : il ne nous surprendrait pas qu’un certain nombre de joueurs n’arrivent pas à « entrer » dans le récit, du fait de cette surcharge informative, que le jeu tente toutefois d’adoucir par un mode « encyclopédie » qui compile de façon à peu près digeste ce qu’il faut en retenir.
Mais la grande force du jeu réside moins dans le détail de ses intrigues, tels qu’inventoriés par ce mode, que dans son gameplay même, une forme d’exploration narrative au sein de décors servant de support à des « bouts d’histoires », dispersés entre des points d’interactions (des objets, des lieux, des personnages avec qui discuter) à « activer » dans le bon ordre. Vanillaware y ajoute un système de « pensées » collectées lors des dialogues et interactions, que l’on peut ensuite « consulter » pour dérouler leur contenu, avant de les « utiliser » sur d’autres personnages pour déclencher de nouveaux dialogues, de nouvelles pensées, voire de nouveaux lieux à explorer. C’est cet ensemble de mécaniques qui permet à 13 Sentinels de dépasser les limites du format « visual novel », en faisant du joueur l’activateur minutieux du récit, d’autant plus impliqué dans ses enjeux narratifs qu’il est le seul responsable de son avancée par la somme de ses interactions.
Autre attrait du mode « aventure », et non des moindres, le studio Vanillaware peut y faire éclater le talent qu’on lui connait en matière de 2D. Ses décors raffinés, aux jolis tons pastels, captent avec intensité l’atmosphère des lieux représentés (parmi lesquels un lycée, le quai d’une gare, une grand-rue, à des moments de la journée magnifiquement saisis par une peinture subtile de la lumière) ; quant à ses personnages, ils profitent d’un effort constant d’animation, renforçant l’impression de se trouver dans un animé jouable. Dans les moments les plus dramatiques, le talent graphique du studio fait même affleurer avec force un imaginaire de cataclysme qui hante tant de fictions japonaises, avec ces ados confrontés précocement à la mort, ces villes vouées à la ruine et ces attaques de monstres incarnant très concrètement l’angoisse d’une éradication humaine par des forces insurmontables. 13 Sentinels pourrait intéresser par ce seul bord esthétique ; ses ressorts ludico-narratifs très prenants ne le rendent à nos yeux que plus recommandable.
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