Loin du monde des AAA qui alignent des budgets énormes pour parfois (souvent ?) des jeux pas terribles, les jeux indépendants nous prouvent à de nombreuses occasions qu’un budget plus modeste n’est pas un frein pour faire des bons jeux. On peut même se demander si les contraintes qu’ont les petits studios n’est pas justement ce qui pousse leur créativité à nous donner des jeux de très bonnes qualités à l’instar de ce 80 Days.
Le jeu est développé par Inkle, un studio britannique spécialisé dans les jeux narratifs dont 80 Days a été le premier grand succès, récompensé notamment dans la presse, et pas forcément que par la presse spécialisée à l’image du Time Magazine qui l’a nommé Jeu de l’année 2014. Un succès amplement mérité dont on va voir les raisons par la suite.
80 Days, c’est un jeu textuel dont la narration se présente sous la forme de la rédaction d’un journal, celui de Jean Passepartout, le majordome du célèbre Phileas Fogg. Vous l’aurez compris, le jeu se base sur le célèbre roman de Jules Verne, Le Tour du monde en quatre-vingts jours (mais pas que, le jeu cachant quelques références à d’autres de ses romans). Et quoi de mieux qu’un jeu textuel pour adapter une œuvre littéraire ? A vrai dire, ce n’est pas tout à fait le cas. 80 Days n’est pas une adaptation à proprement parler. Il serait plus approprié de parler de réécriture, voir même juste de support, parce que le jeu nous invite à faire notre propre tour du monde, mais on reviendra sur ce point un peu plus tard.
Le jeu intègre également des mécaniques de jeu de gestion qui viennent en faire plus qu’un simple jeu narratif. En effet, en tant que majordome, il va falloir s’occuper de la santé de Phileas qui sera parfois mise à rude épreuve, ainsi que de votre argent, indispensable au voyage. C’est de ces mécaniques que le jeu tire sa difficulté, présente sans être incroyable. Il m’est arrivé de perdre quelques parties à cause d’une mauvaise gestion de mes finances mais la majorité de vos voyages devraient bien se passer si vous êtes un minimum vigilant.
Mais surtout, il va falloir décider où vous allez aller. Car oui, dans le jeu, c’est au joueur de choisir par où nos deux compères vont passer pour faire le tour du globe, avec comme seul condition Londres comme point de départ et d’arrivée. C’est pour ce point que je pense que parler d’adaptation n’est pas vraiment approprié pour ce jeu (c’est peut-être pour ça que j’ai été le seul à le faire). Et avec presque 200 villes sur le globe, un très grand nombre de possibilités de voyage différent est offert. Des grandes capitales européennes au fin fond de l’Afrique en passant par les iles du Pacifique ou le centre de l’Arctique, le monde entier et ses divers paysages sont couverts. C’est sur cette base que se déploie tout le gameplay, la gestion de l’argent, de la santé de votre maitre mais aussi de votre temps. Parce que le but du jeu, ça reste de faire le tour du monde en 80 jours. Chaque trajet va prendre un certain temps suivant le moyen de transport utilisé mais aussi le temps d’attente dû au départ. Chaque destination doit donc être soigneusement choisie pour mettre le moins de temps possible à boucler ce tour. Et malgré des parties assez courtes (3-4h environ), le jeu a une énorme rejouabilité et il est possible d’enchainer les parties sans jamais prendre deux fois le même chemin.
Et plus que du gameplay, ce très grand nombre de villes offrent au jeu un background très riche, dont la richesse provient d’une écriture. Et c’est ce point qui rend le jeu aussi bon qu’il est. Les villes sont si bien décrites, dans leur décor, leur ambiance, leur population, que se les imaginer est d’une facilité déconcertante, et la discrète mais présente ambiance sonore vient sublimer le tout. On pourrait à la limite reprocher l’absence d’une réelle soundtrack dans le jeu mais je n’ai pas ressenti le manque personnellement.
Chaque ville ou transport, eux aussi déclinés dans une grande variété, donne ensuite lieu à des situations différentes. Ces situations vont souvent être l’occasion de rencontres avec des personnages tous très différents, qui prennent vie grâce à la finesse de l’écriture. Et si une distance se fait malgré tout ressentir avec les personnages secondaires, dont Fogg lui-même, surement due à un manque de tangibilité des personnages, Passepartout est quant à lui superbement représenté, et on trouve assez vite de l’affection pour lui, en lisant son journal que l’on contribue à écrire. On a beau choisir ses actions et ses réactions, l’impression de lire un journal intime est vraiment là quand il y couche ses ressentis et ses sentiments. Je pense avoir été rarement autant pris d’affection pour un héros de jeu de cet acabit.
L’absence d’une version française est à noter chez nous. Je n’ai pas envie d’en faire un vrai défaut tant j’ai encensé l’écriture du jeu tout au long de cette critique. Mais c’est un point à relever car il rend le jeu assez difficile d’accès tant l’écriture est pointue. Les plus anglophobes d’entre nous ne pourront certainement pas profiter d’une expérience de jeu optimale.
Je ne pense jamais avoir autant voyager dans un jeu que dans 80 Days. Entre sa sensation de liberté et sa multitude de possibilité qu’il nous offre, faire un tour du monde n’a jamais été aussi accessible. Et il se fait en très bonne compagnie au coté de Passepartout, un personnage touchant et attachant. Alors maintenant, plus d’excuse pour ne pas saisir votre imperméable et sauter dans cette calèche le plus vite possible !