Pyre
7.2
Pyre

Jeu de Supergiant Games (2017PC)

Parcours d’exilés d’une théocratie totalitaire, Pyre est un pèlerinage de parias et d’exclus. Abandonnés aux abîmes du Downwell, leur dernier espoir est d’accomplir les rites mystiques des Huit Scribes : tueurs des titans, immortelles horreurs cosmiques ; fondateurs du Commonwealth, dont ils sont les divinités tutélaires. Du déserteur déchu par amour au révolutionnaire perdu par ses convictions, le choix est simple : se battre pour sa liberté, ou mourir à jamais en exil. Encore faudra-t-il seulement souhaiter la victoire.


Si ce synopsis fleure bon le RPG, Pyre ne ressemble en réalité à aucun autre jeu. On se déplace, en caravane, sur la carte du Downwell. On papote avec un membre de l’équipe, on s’arrête sur une colline. On repart le lendemain, pour atteindre l’emplacement du rite. Là, une balle, deux équipes, deux buts : on bascule dans un match de sport fictif, à mi-chemin entre l’ultimate et un NBA Jam. On bondit sur un adversaire, on récupère la balle pour sprinter et sauter dans le mur de défense. Les parties sont explosives, rapides et nerveuses : un vrai jeu d’arcade en plein visual novel.


Mais il y a plus surprenant encore : ces rites peuvent être perdus. Il n’y pas réellement de game over dans Pyre, l’histoire continue simplement avec la trace de cet échec. Vos équipiers vous apprécieront peut-être un peu moins. Plus tard, ils feront référence à cette défaite. Posant tacitement la question : pouvez-vous vraiment les sauver ? Car ce n’est qu’au prix de nombreuses victoires que vous gagnerez finalement la rédemption de l’un des vôtres. Et si vous échouez à arracher cet ultime triomphe, comptez bien sur les équipes adverses pour en profiter à votre place.


Méritez-vous seulement la victoire ? De quel droit embrigaderiez-vous Pamitha dans votre révolution, alors qu’elle préférerait sacrifier sa place pour sa sœur ? En quoi en êtes-vous plus digne que vos adversaires ? Plus digne qu’Oldheart, ce vieux chien plus honorable qu’aucun autre personnage ; qui ne se bat que pour la liberté d’un fils adoptif ? On comprend dès le départ que tous ne pourront être sauvés : il y aura des sacrifiés, des laissés pour compte. L’insurrection dût-elle réussir, la liberté du Commonwealth reposera toujours sur l’asservissement d’une poignée d’oubliés.


La quête de rédemption se répète, encore et encore, chaque fois un peu plus courte que la précédente. Petit à petit, votre équipe s’étiole ; s’affaiblit. Les combats deviennent plus rudes, les ennemis acquièrent de nouvelles capacités. Étouffé entre le réveil des titans et la mort des étoiles, on se lance dans une fuite en avant désespérée ; une course contre la montre impossible à remporter.


John Carmack, célèbre cofondateur d’id Software, confiait dans le bien nommé Masters of Doom : « Story in a game is like a story in a porn movie. It's expected to be there, but it's not that important. » [Les histoires dans les jeux vidéos, c’est comme dans les films pornos. On s’attend à ce que ce soit là, mais c’est pas si important.] Cette phrase contient deux idées. La première, plus évidente, pourrait se résumer ainsi : un bon jeu n’a pas besoin d’histoire. On pensera à Tetris ou Pac-Man pour s’en convaincre. La seconde idée, c’est que le besoin de scénariser les jeux vidéo provient des habitudes du joueur, et non d’une volonté du développeur. Pour formuler ça autrement, Carmack considère que l’histoire va à l’encontre de la spécificité du média.


Pyre fait figure de cas d’école avec son gameplay d’arcade perdu au milieu d’un jeu hautement narratif. Si les rites nourrissent les dialogues, et les dialogues impactent nos choix sur les rites, les deux phases sont suffisamment partitionnées pour bien les dissocier. Alors, Pyre serait-il toujours un bon jeu en ne conservant que ses matchs ? Je ne surprendrai personne en disant que oui, Pyre resterait un titre tout à fait respectable. Une recommandation sûre pour faire du multijoueur en local, une sorte de Towerfall sportif.


Mais dissocier ainsi le gameplay et l’histoire est une erreur. C’est réfléchir comme si cette dernière ne pouvait être retransmise qu’à l’écrit. Pourtant, les sprites des personnages, les thèmes musicaux, l’apparence des arènes : tous ces éléments racontent en eux-mêmes une histoire. Tetris est un empilement de briques sur fond d’imagerie communiste. Pac-Man est la chasse d’une boule jaune perdue dans un labyrinthe par des fantômes. Tout jeu raconte une histoire, du plus réaliste au plus abstrait. Même en remplaçant les graphismes par des formes géométriques et en supprimant toute forme de son, la narration passera à travers les règles du jeu.


Car un jeu n’est qu’un système interactif de règles auto-arbitré. Tetris et Pac-Man ne sont pas des jeux « plus purs » car leur histoire est minimale : une part de leur narration étant porté par leurs graphismes et non leurs règles, on pourrait même statuer l’inverser. Pyre n’est pas parfait, bien sûr : le jeu échoue à nous inciter à perdre, et est globalement bien trop verbeux. La qualité de ses personnages peut sembler variable, et ses fins ne sont probablement pas à la hauteur de ses aînés. Pourtant, il est difficile de lui nier ses moments de grâce. Les chansons dont les paroles suivent nos aventures. La désintégration des règles par le désespoir des équipes au pied du classement. Le dilemme de chaque victoire dont la lumière de l’ascension projette les ombres des sacrifiés.


Jouez en difficile. Ajoutez-vous des malus. Perdez vos combats. Car si la victoire est optionnelle, c’est que la défaite est plus intéressante. L’erreur est de s’accrocher à la recherche d’une fin joyeuse quand aucune ne sera satisfaisante. Et pourtant, vous essayerez de gagner malgré tout. Parce que nous y sommes tous conditionnés, seule la victoire est belle. Mais rappelez-vous que vous jouez moins à Pyre qu’à son rituel. Un rituel à l’interaction codifiée par des règles. Un jeu dans le jeu auquel on ne joue que pour gagner le droit d’en sortir. Ça vous rappelle quelque chose ?

Antigoomba
8
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le 27 août 2017

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